En juin, la loi sur la biosécurité, votée sans débats par l’Assemblée nationale sortante, a ouvert la porte aux organismes génétiquement modifiés, jusque-là interdits.
Dans son jardin à Thiès, ville située à 60 km à l’est de Dakar, Ibrahima Seck fait pousser des aubergines, des gombos et de l’hibiscus. Des produits destinés à sa consommation personnelle et tous issus de semences paysannes locales. «Cette diversité risque de disparaître si les semences génétiquement modifiées rentrent au Sénégal», s’inquiète l’agriculteur, qui cultive aussi des légumes bios dans ses douze hectares de champ, à 80 km de là.
Le coordonnateur de la Fédération nationale pour l’agriculture biologique (Fenab) se bat aujourd’hui pour que le président Macky Sall ne promulgue pas la nouvelle loi sur la biosécurité qui ouvre la porte aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Votée le 3 juin, sans débats, par l’Assemblée nationale sortante quelques semaines avant les élections législatives, elle a provoqué l’indignation de la société civile.
Depuis 2009, une loi interdisait d’importer ou de mettre sur le marché des OGM, « susceptibles de provoquer une dégradation de l’environnement ou un déséquilibre écologique, ou de nuire à la santé humaine ou animale ». Mais cette disposition était un « frein au développement des activités liées aux OGM », selon le rapport de la nouvelle loi sur la biosécurité, qui a pour objectif de « tirer le maximum de profit des avantages qu’offre la biotechnologie moderne ».
Il s’agit pour le Sénégal de « s’ouvrir aux innovations et à l’univers de l’intelligence artificielle avec l’utilisation des OGM, tout en prenant en compte les impératifs de sécurité », indique le même rapport, citant l’ex-ministre de l’environnement et du développement durable, Abdou Karim Sall, limogé lors d’un remaniement ministériel en septembre.
En août, Ousseynou Kassé, directeur général de l’Autorité nationale de la biosécurité (ANB, bras technique du ministère de l’environnement, qui a rédigé le texte législatif) affirmait dans la presse sénégalaise que les OGM seraient un moyen de lutter contre le changement climatique en développant des semences résistantes au stress hydrique, à la salinité des sols, aux hautes températures ainsi qu’à certaines maladies et ravageurs. Tout cela dans le but d’un meilleur rendement.
Le Burkina, exemple à ne pas suivre
Des arguments qui retiennent l’attention de Mamadou Ndiaye, coordonnateur de l’Union maraîchère des Niayes, une zone très fertile située à 80 km au nord de Dakar. Dans son champ, il utilise des semences autorisées par l’Etat, sans vraiment savoir si elles sont importées, OGM ou non reproductibles.
«Les agriculteurs se préoccupent d’abord de la productivité et de la résistance des semences afin d’améliorer les conditions de vie de leur famille. Si ces variétés améliorent nos revenus, nous serons preneurs », affirme-t-il, faisant confiance aux autorités pour définir si les OGM sont dangereux ou non. Son seul regret : le manque d’inclusion des agriculteurs dans les travaux autour de cette nouvelle régulation, qu’il aurait souhaité plus transparente.
Les organisations de la société civile représentatives du secteur agricole déplorent elles aussi que la loi n’ait pas été débattue à l’Assemblée et qu’elle ait été rédigée sans concertation avec les premiers concernés. Contactés par Le Monde pour connaître les raisons de ce vote précipité, ni le ministère de l’environnement ni l’ANB n’ont donné suite.
«Les OGM ne sont pas la solution, contrairement à l’agroécologie, qui permet de cultiver sainement de manière durable », lance Sidy Ba, porte-parole du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) : « Il faudrait plutôt renforcer les capacités des chercheurs sénégalais pour produire de meilleures semences locales, reproductibles et adaptées au changement climatique. » Le militant réfute l’argument de l’ANB selon lequel le Sénégal est en retard sur les biotechnologies, contrairement au Burkina Faso.
Ce pays est plutôt l’exemple à ne pas suivre, assure Ibrahima Seck, de la Fenab. De fait, le coton burkinabé a perdu en valeur et en qualité après l’introduction en 2009 d’une nouvelle variété OGM controversée, résistante aux attaques de ravageurs. La taille de la fibre s’est progressivement réduite et, depuis 2016, sa production a même été suspendue par les autorités burkinabées.
« La science n’est pas encore en mesure d’assurer que les OGM permettront un meilleur rendement sur le long terme, ni de garantir qu’ils n’auront pas d’impact sur la santé humaine, animale et végétale », met en garde Amadou Kanouté, directeur de l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (Cicodev Africa), basé à Dakar : « Nous nous inquiétons aussi pour la biodiversité, car si des OGM servent à lutter contre certains nuisibles ou contre la salinité des terres, quel sera l’impact sur les oiseaux ou les abeilles ? »
Disparition des semences paysannes
Un autre risque est d’entraîner la disparition des semences paysannes traditionnelles, essentiellement utilisées pour les cultures céréalières comme le mil, le sorgho ou le maïs. Dans la pratique, la grande majorité des producteurs gardent une partie de leur récolte pour produire leurs propres semences – même si légalement, seules celles qui sont certifiées et inscrites dans le catalogue officiel peuvent être vendues.
« A cause de croisements naturels, les OGM pourraient faire muter nos semences locales, développées par nos grands-parents depuis des siècles », prédit Ibrahima Seck, qui dit redouter une standardisation des semences et de l’alimentation. « Les semences OGM non reproductibles vont nous rendre dépendants d’une poignée de multinationales étrangères qui dominent le marché mondial de la biotechnologie », poursuit le producteur, converti à l’agroécologie au milieu des années 1980.
Alors que le nouveau président du Kenya, William Ruto, vient d’autoriser les OGM dans son pays, Amadou Kanouté, de Cicodev Africa, insiste pour que les instances régionales telles que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ou l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) se saisissent du sujet. « Beaucoup de pays en Afrique sont sous la même pression des partenaires techniques et financiers et des multinationales pour abroger les lois restrictives et créer un environnement favorable à l’introduction des produits OGM », constate-t-il.
Mais au Sénégal, la bataille se joue désormais au niveau du Parlement pour les organisations désireuses que la loi ne soit pas promulguée. « Si le chef de l’Etat nous ferme la porte, nous avons encore une fenêtre d’opportunité avec la nouvelle Assemblée nationale, qui est un peu plus équilibrée. Nous irons à la rencontre des nouveaux députés quel que soit leur bord politique pour que la loi soit abrogée », annonce Amadou Kanouté, dénonçant un projet contraire aux orientations du Plan Sénégal émergent vert (PSEV), qui prône la transition écologique et la souveraineté alimentaire.