Aujourd’hui, l’Afrique importe une énorme quantité de vêtements de seconde main. Et dans le même temps, elle exporte son coton. Auteur d’un rapport intitulé « La nécessaire mutation du textile africain dans le cadre de la Zlecaf », Espoir Olodo nous éclaire sur ce paradoxe et sur les perspectives du secteur.
Agence Ecofin : Que représentent les importations africaines de vêtements de seconde main ?
Espoir Olodo : Aujourd’hui, le continent africain est le premier marché mondial des vêtements d’occasion. Les friperies ont gagné toutes les couches sociales de la population africaine grâce à leurs prix abordables. Selon les données de la plateforme TexPro, l’Afrique a acheté en 2021, pour 1,8 milliard de dollars d’articles vestimentaires de seconde main en provenance principalement la Chine, de l’Union européenne (UE), du Royaume-Uni et dans une moindre mesure des USA. Le Kenya a été le premier acheteur africain avec, en 2021, 218 millions $, suivi du Ghana, de la Tanzanie, du Nigeria et de l’Angola.
AE : De nombreuses usines de confection se sont implantées en Afrique du Nord, en Ethiopie, etc. Pourquoi ne fournissent-elles pas aussi le marché africain en vêtements neufs ?
EO : C’est une belle question. Elles ne fournissent pas majoritairement le marché africain tout simplement parce que ce n’est pas leur priorité. Il faut savoir que la plupart des usines implantées en Ethiopie ou dans plusieurs pays d’Afrique du Nord sont issues d’investissements directs étrangers et travaillent pour des donneurs d’ordre internationaux. Celles-ci sont prioritairement orientées vers les grands consommateurs de vêtements prêt-à-porter que sont les USA et l’Europe.
La situation est différente en Afrique du Nord qui consomme très peu de friperies et donc beaucoup plus d’articles neufs. Toute la région n’a acheté en 2021, que pour 107 millions $ de vêtements de seconde main soit deux fois moins que le Kenya.
Globalement en Afrique, l’autre problématique est celle de l’accessibilité économique des vêtements neufs pour les populations qui restent encore majoritairement à bas revenu, même si il y a une classe aisée qui de développe progressivement. De plus, il faut ajouter la question de la préférence marquée pour les vêtements d’occasion qui sont perçus comme plus durables, voire meilleurs que les habits neufs, selon les consommateurs. Une étude menée au Kenya en 2019 par l’Institut des affaires économiques (IEA) indique par exemple que la majorité des ménages n’achètent des vêtements neuf que lorsque cela est nécessaire, par exemple pour l’école ou pour les besoins de conformité aux exigences vestimentaires de leur lieu de travail.
AE : Ces usines textiles africaines sont-elles au moins un débouché intéressant pour le coton africain ?
EO : Oui. Le coton africain est transformé dans les usines textiles sur le continent. En Ethiopie par exemple, la consommation industrielle a progressé rapidement depuis une décennie. Avec l’installation de nombreuses usines, la demande a même surpassé l’offre. Le pays a lancé par exemple en juin dernier, un appel d’offres pour acheter 10 000 tonnes de fibre de coton. Au-delà de ce pays, on a une diversité de cas de figure. Les pays d’Afrique du Nord ou d’Afrique australe, où les usines textiles sont dynamiques, importent plus souvent leurs matières premières pour pallier au déficit local.
Au contraire, dans la zone UEMOA, où par exemple l’offre est importante, le coton africain est surtout transformé de manière artisanale pour la confection de pagnes ou de tissus traditionnels et très peu à l’échelle industrielle.
AE : Quels sont les principaux obstacles à l’émergence d’une industrie textile africaine basée sur le coton local ?
EO : Je pense que tout part de la volonté politique et de la stratégie qui est déployée pour atteindre les objectifs. Il n’y a pas de situation homogène sur le continent africain. D’autres pays l’ont déjà compris. L’Ethiopie a affiché ses ambitions de devenir un leader dans l’industrie textile en Afrique et a, depuis une décennie, investi lourdement dans des parcs industriels prêts à l’emploi et créé un environnement favorable pour les affaires avec une main d’œuvre peu chère et une énergie abondante à bas coût. Ces facteurs sont essentiels pour une industrie manufacturière et ces conditions ne sont pas encore réunies en Afrique de l’Ouest. Plus précisément dans la zone UEMOA, les dirigeants ont toujours affiché leur volontarisme mais très peu d’actes ont été réalisés. L’exportation massive de coton brut, principalement vers la Chine, reste toujours la norme.
Mais au-delà, le coton qui est produit en Afrique de l’Ouest est de haute qualité et peu adapté pour mettre sur pied des usines de production d’articles bas de gamme comme les T-shirts. Donc, à moins de revoir totalement l’appareil productif pour cultiver du coton pour les industries bas de gamme et ensuite monter progressivement en gamme, je ne vois pas encore comment l’Afrique de l’Ouest peut bâtir une industrie textile d’envergure. Surtout dans un contexte d’ouverture du marché aux importations de friperie et de problèmes de fiabilité de la fourniture énergétique.