L’industrie du ciment traverse une crise profonde qu’on voyait venir au début de l’année 2022. En effet, au mois de mars dernier, l’un des trois cimentiers, Dangoté, qui vient d’envoyer ses employés en congés collectifs, avait tiré la sonnette d’alarme.
« Les cimentiers sur le gril », titrions-nous, au mois de mars dernier, un article sur la crise qui guettait l’industrie du ciment au Sénégal. Et nous nous posions cette question : jusqu’où les cimenteries pourront-elles tenir cette pression ? Cinq mois plus tard, on commence à avoir un début de réponse. Les flammes du feu qui couvait sous les cendres sont en train de lécher les fondements d’un secteur connu jusqu’ici par sa robustesse. Cette semaine, en effet, on apprend que Dangoté Cement, dernière-née des trois cimenteries du pays, qui fêtait, en début d’année, les sept ans de son entrée en production, a été obligée d’envoyer tout son personnel en congés collectifs payés pour tout le mois d’août. Un moindre mal face à l’autre option, le chômage technique. Seul le service minimum est assuré. Avec cette décision radicale, c’est une grosse machine qui s’arrête, du moins temporairement. Car Dangoté Cement, c’est près de 25% du marché local et 20 % de la production nationale (1,5 million de tonnes par an), plus de 1100 emplois directs et indirects et une politique de Responsabilité sociétale d’entreprise (Rse) fort appréciée dans sa zone d’installation de Pout.
La Covid-19 et la crise russo-ukrainienne, le double facteur fatal
Certes c’est Dangoté Cement qui a poussé en premier un cri de détresse, mais il n’en demeure pas moins que les deux autres cimenteries, Sococim et Ciment du Sahel, vivent les mêmes souffrances : hausse fulgurante des prix des principaux intrants entrant dans la fabrication du ciment comme le charbon, le clinker, le fioul ainsi que le coût du fret. Cette tendance haussière avait commencé avec la crise sanitaire de la Covid-19, la crise russo-ukrainienne l’a boostée. Conséquence du dérèglement de l’économie que ce conflit a entraîné au niveau mondial. Par exemple, le prix du charbon, un intrant constituant la moitié des charges variables de Dangoté Cement, avait bondi, au mois de décembre 2021, de 140 %. Cela, sans compter les coûts du fret. Au moment où le prix du ciment est resté inchangé, regrettait à l’époque l’ancien Directeur général Luke Haeltermann. S le prix du ciment reste bloqué à 3250 ou 3300 FCfa le sac de 50 kilos, ce n’est pas faute d’avoir essayé de convaincre l’Etat de le déplafonner par les cimentiers. On se rappelle, il y a trois ans, les trois cimenteries du pays avaient voulu augmenter de manière unilatérale le prix du sac de ciment avant que le Ministère du Commerce ne s’y oppose. Alors qu’à l’époque, l’économie mondiale se portait beaucoup mieux qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Si Dangoté Cement a été plus durement frappée, c’est parce que qu’une partie du charbon qu’elle utilise venait de la Russie, mais avec la guerre, elle a été obligée de se rabattre essentiellement sur le Mozambique et l’Afrique du Sud, nous confiait Mohamed Bachir Lô, le Directeur des opérations. « Cela implique des surcoûts et des tensions inhérentes à tout marché en manque », avait-il ajouté. Même le prix du papier pour le conditionnement du ciment a connu une hausse. « Le sac de ciment 32,5 R coûte entre 3250 et 3300 FCfa, alors que le papier nous revient à 300 FCfa. Ce qui veut dire que rien qu’avec le papier, nous sommes presque à 10 % de la valeur du sac de ciment vendu sur le marché », avait expliqué Alex Simaga, Directeur commercial de Dangoté.
Les autres cimenteries qui utilisent d’autres sources d’énergie comme le fioul pour faire fonctionner leurs installations subissent les mêmes effets avec le renchérissement des prix du pétrole sur le marché mondial.
Seule bouffée d’oxygène pour cette filiale du Groupe Dangoté, elle produit suffisamment elle-même sur place le clinker, principal produit à la base du ciment. Ce qui est loin d’être le cas des deux autres cimentiers qui, eux, sont obligés de faire venir des bateaux car ils n’en produisent pas assez sur place. Or, le prix du clinker, informe le Directeur commercial de Dangoté Ciment Sénégal, a plus que doublé ces derniers temps.