Le conflit entre Russes et Ukrainiens déstabilise les chaines de valeurs alimentaires et font craindre des risques de famine dans le monde et surtout en Afrique. Du coup, les pays européens veulent se protéger de l’arrivée d’un « fardeau » de 150 000 immigrés africains, alors qu’ils viennent d’accueillir 6,5 millions d’Ukrainiens sans piper mot.
Des données consultées par l’Agence Ecofin suggèrent que le spectre de « déferlante » migratoire en provenance d’Afrique, et qui a été soulevé cette semaine par les 5 pays du sud de l’Europe que sont l’Italie, l’Espagne, la Grèce, Chypre et Malte, ne colle pas à la réalité des chiffres des flux migratoires.
Cette crainte se base sur l’hypothèse d’une arrivée de 150 000 personnes par le centre et l’ouest de la Mer Méditerranéenne. Si on rapporte ce risque à la démographie combinée de l’Espagne et de l’Italie pour l’année 2021 (106,75 millions d’habitants), ce ne représente que 0,14% des populations des deux pays qui selon des statistiques officielles reprises par l’Union Européenne, ne figurent pas dans le top 10 des pays du monde, ayant la plus forte proportion de résidents originaires de l’étranger.
Par ailleurs ces Etats font partie de l’Union Européenne qui affiche une totale solidarité pour l’accueil de réfugiés ukrainiens, qui sont aujourd’hui les victimes directes de l’invasion militaire par la Russie de Vladimir Poutine.
Or selon des récentes informations communiquées par l’office des Nations Unies pour les réfugiés, l’urgence de la situation ukrainienne a été portée au niveau 3 et l’instance internationale estime que 6,5 millions des habitants de ce pays se sont réfugiés en Europe depuis le 24 février 2022. C’est 43 fois le chiffre qualifié de « déferlante » par les pays du MED5.
L’Afrique n’est pas un gros fournisseur d’immigrés en Europe
Le discours de ces 5 pays du sud de l’Europe rejoint largement celui de plusieurs leaders d’opinion au sein des pays membres de l’Union Européenne, qui présentent l’immigration africaine comme un défi économique, voire « civilisationnel ». Certes des images de chaînes de télévision (très souvent occidentales) qui présentent des situations de navires en détresse ont tendance à soutenir cette cet argumentaire, de même que les chiffres des personnes décédés en mer (3157 en 2021).
Mais l’Afrique est loin d’être le fournisseur à grande échelle des migrants en Europe et même dans le monde. Les données de l’Atlas sur les profils migratoires, reprises par la Commission Européenne, indiquent qu’en 2020, le total mondial de populations africaines en situation d’immigration était de 40,4 millions de personnes, dont seulement 23% (9,3 millions) se trouvent dans les 27 territoires de l’Union Européenne. Par contre, dans une perspective plus globale, l’Afrique elle-même abrite près de 24 millions d’immigrés non africains, dont certains comme des Libanais, ont quitté des conditions difficiles dans leurs pays.
Plus globalement, les données reprises par la Commission Européenne démontrent que le Vieux Continent a besoin de l’immigration. Les immigrés très souvent occupent des segments d’emplois pas toujours bien rémunérés, mais qui sont essentiels à la cohésion sociale, comme le bâtiment, la restauration, les aides de ménage et plus généralement les services d’assistances à la personne qui ont été essentiels durant la période de Covid-19. Il est admis que, sans l’immigration, la population européenne aurait diminué de 500 000 personnes en 2019. Et ce déficit s’est probablement creusé avec les conséquences de la pandémie en termes de vies humaines.
Les pays européens refusent d’accepter leurs responsabilités dans les difficultés que connait le continent. Si le commerce et les échanges entre les pays et les régions sont un levier de développement, en Afrique ces activités ont un caractère inéquitable, qui est critiqué par de nombreuses organisations internationales. Le Vieux continent n’ignore pas qu’une gestion efficace du dossier migratoire passera par une plus grande équité dans le droit de circulation, et aussi par la lutte contre l’évasion fiscale, les flux financiers illicites, la fuite des cerveaux, l’abus de position dominante des grandes entreprises internationales qui privent l’Afrique de centaines de milliards $ de ressources dont elle a besoin pour son développement.