L’angoisse a fini de gagner les éleveurs du Fouta. Ces derniers sont confrontés à de terribles difficultés pour nourrir le cheptel. Leur peine est partagée entre une sécheresse qui devient de plus en plus présente dans la zone et une restriction des pâturages.
En plus de cela, la crise malienne est venue corser le quotidien de ces éleveurs avec la fermeture des frontières avec le Sénégal.
Mamadou Harouna est angoissé. Pour cet éleveur, qui a consacré toute sa vie à l’élevage, la disette qui menace leur contrée constitue la pire hantise de leur vie. Dans son patelin logé à la sortie de la ville de Ndioum, les jours passent et se ressemblent. Emmitouflé dans un caftan bleu-violacé, il a la tête enveloppée dans la traditionnelle écharpe noire qu’aiment porter les éleveurs de sa tribu. D’un côté de l’étable, se trouvent plus d’une centaine de vaches. Accompagnées de leurs veaux, elles sont mises à l’écart en attendant d’être traies.
De petits seaux à la main, des jeunes filles se dirigent vers les vaches pour les traire. Le visage émacié par l’âge, l’éleveur Mamadou Harouna regarde sans grande solution ses vaches efflanquées. «Les filles ne peuvent pas tirer grand-chose d’elles, car les vaches n’ont pas bien mangé. D’habitude, on pouvait avoir plus de 4 litres de lait pas vache, mais actuellement on peine à en tirer 1,5 litres», se désole l’éleveur. Il se retire dans un coin de la grande étable où est aménagée une chambrette. Il en ressort avec une théière et d’autres ustensiles. Avec une démarche lente, il s’installe non loin de l’entrée principale. D’après cet éleveur, ils sont en train de traverser les pires moments de leur vie. «L’hivernage de l’année passée est l’un des plus catastrophiques que j’ai connu. D’où la situation que nous traversons avec nos bétails. Comme vous pouvez le constater, le troupeau est plus qu’affamé. Non seulement l’herbe qu’il mange est insuffisante, mais elle n’est pas nutritive.»
A Podor, les éleveurs ne savent plus où donner de la tête. Ils estiment qu’ils sont laissés pour compte. Lors de sa dernière visite dans le Fouta, le ministre de l’Elevage s’était félicité de la disponibilité du pâturage dans la zone. Et pourtant, les éleveurs ne sont pas sur la même longueur d’onde que la tutelle. En cette période de saison sèche, c’est un cri de cœur qui est lancé par les acteurs du secteur de l’élevage. Un appel qui tarde à trouver une oreille attentive auprès des autorités.
«J’ai été obligé de vendre une partie de mon troupeau pour pouvoir nourrir les autres»
Pour entretenir son troupeau qui compte plusieurs centaines de têtes, le vieux Mamadou Harouna n’a d’autre alternative que d’en vendre une partie afin de subvenir aux besoins nutritionnels des autres. «C’est une partie du bétail qui est présente. L’autre se trouve dans le Diéry (terres assez éloignées du fleuve) avec les bergers. Actuellement, on ne voit même pas d’herbe dans la contrée. Pour trouver un peu de pâturage, les bergers sont obligés de parcourir des dizaines de kilomètres», se désole-t-il.
A Ndiéyène Pendao, commune située à une trentaine de kilomètres de Podor, la chaleur accablante contraint tout le monde à trouver refuge dans les habitations. Même s’il n’a pas ce privilège, le berger Alpha Niang trouve sa quiétude sous un arbre avec un ombrage plus ou moins propice. Le jeune berger ne se sépare pas un seul instant de sa bouteille d’eau. A intervalles réguliers, il prend des gorgées. Dans une étendue extrêmement hostile, il jette de temps à autre un regard sur le troupeau dont l’essentiel est couché. Impuissant, il ne sait plus comment faire pour trouver du pâturage pour ses bovins. Dans cette plaine, il n’y a plus de pâturage. Seuls les buissons apaisent l’appétit vorace du bétail famélique. «Regardez l’état de ce troupeau, les vaches sont complètement épuisées. Elles ne peuvent plus marcher. Je suis obligé de faire une halte, car il fait chaud», jure-t-il. Le soleil de plomb tape sans merci dans cette partie du Fouta. Afin d’aider son troupeau à s’alimenter, Sidiki Seck n’a d’autre choix que de faire paître son cheptel durant la nuit. Pour lui, c’est une question de survie. «La journée, le cheptel dépense trop d’énergie en marchant sans pour autant pouvoir s’alimenter. Quand il fait chaud, les bovidés ne mangent pas. Il est plus opportun de les faire paître la nuit», recommande cet éleveur. Malgré cela, Sidiki estime qu’il a dû se départir de bon nombre d’éléments de son cheptel. «J’ai la chance d’être aussi un riziculteur. Cela me permet de disposer d’un fourrage, même si ce n’est pas conséquent. C’est ce qui m’a poussé à vendre des sujets, car j’étais au bord de la ruine», regrette Sidiki Seck.
La crise malienne complique davantage la situation
Pour l’essentiel, les éleveurs de cette zone se ravitaillent à partir de l’aliment de bétail qui provient du Mali. Mais les sanctions de la Cedeao contre ce pays ont lourdement affecté les éleveurs. «Le prix de l’aliment est devenu inaccessible pour nous, le sac qui coûtait 7 000 FCfa est passé à 10 000 FCfa. Celui qui s’échangeait à 10 000, nous revient maintenant à 15 000 FCfa», informe Diamamadou Bâ, président des bouchers du département de Podor et membre de l’Association des éleveurs.
A la descente de la charrette, il marche à pas accélérés pour se rendre au magasin de vente d’aliments pour bétail. D’un signe de la main, il demande au charretier de venir prendre les sacs. «Cette charge d’aliments va juste couvrir une journée. Demain, je reviendrai pour chercher encore un autre chargement et le sac me revient à 15 000 FCfa. A ce rythme, on risque tous d’être ruinés. L’élevage ne nourrit plus son homme. Nous sommes nés dans cette activité. Nous ne connaissons rien d’autre que cela», justifie Diamamadou Bâ.
La frontière entre le Sénégal et le Mali étant fermée, les vendeurs d’aliments de bétail se ravitaillent jusqu’en Côte d’Ivoire. «Le fret nous revient à 2 500 000 FCfa. Il s’y ajoute que le prix du blé connaît une hausse», informe Idrissa Bâ, vendeur d’aliment de bétail.
L’agriculture empiète sur les espaces de pâturage
Chaque matin, à bord de sa moto, Babacar Niang se déplace à l’intérieur du Village de Ndiadane pour s’enquérir de la situation de son cheptel. Après un bref échange avec le berger, il scrute les moindres gestes des bovidés. A cet instant, un bœuf de race Holstein se rapproche de lui. «C’est une race qui n’est pas habituée à marcher de longue distance. Mais je suis obligé de le laisser se débrouiller pour se nourrir. Il a perdu la moitié de son poids, faute de nourriture», explique Babacar Niang.
A Ndiadane, commune rurale située dans la zone appelée le Walo (terres proches du fleuve), l’agriculture semble prendre le dessus sur l’élevage. Ici, il n’existe aucun domaine où les troupeaux peuvent pâturer. Tout l’espace est destiné soit à la riziculture, soit à la culture d’oignons. A cet effet, une véritable spéculation s’opère dans la zone. Babacar Niang, conseiller municipal et éleveur qui dispose du plus grand cheptel dans cette partie du Fouta, explique que les agriculteurs vendent la paille à des prix exorbitants. «Après avoir récolté le riz, les agriculteurs nous vendent la paille qui reste dans les champs. Le mètre carré est vendu entre 300 et 500 FCfa. L’hectare nous revient à 3 millions de FCfa. Dans le passé, ils nous permettaient de faire entrer nos troupeaux gratuitement. Mais depuis l’accentuation de la sécheresse, nous sommes obligés d’acheter des concessions pour nourrir les bêtes», fait comprendre Babacar Niang.
Si l’Etat ne fait rien, le pire risque de se produire
Sikidi Seck tire la sonnette d’alarme par rapport à la situation actuelle. D’après lui, depuis la fin de l’hivernage, des pertes assez conséquentes sont à déplorer. «Notre calvaire a commencé juste après l’hivernage, car les bêtes ne se sont pas bien nourries. Pour ce qui est de mon cas, j’ai eu la prudence de limiter mes charges. J’ai vendu une bonne partie de mon cheptel», alerte Sidiki Seck.
Son cas reste plus dramatique même s’il dit remettre son sort entre les mains de Dieu. Alpha Niang dit avoir perdu une vingtaine de vaches à cause de la malnutrition de son troupeau. «Si ces animaux ne mangent pas, ils sont forcément vulnérables. Ils peuvent soit mourir d’épuisement ou de maladie. Nous on reste là les bras croisés et impuissants», s’apitoie Alpha Niang.
Kadiatou fait partie des rares femmes qui ont su s’imposer dans ce milieu très masculin. Elle dispose d’une centaine de têtes actuellement. Toutefois, elle ne manque pas de faire une litanie de doléances pour lancer un appel à l’aide. «C’est impératif que l’Etat nous viennent en aide. Soit l’État nous donne directement de l’aliment pour bétail, soit il subventionne l’aliment. J’estime que cela va être une solution conjoncturelle. Mais c’est mieux, en attendant autre chose. Si rien n’est fait, le pire risque de se produire, car le cheptel commence à être décimé», alerte la dame.