Au commencement, était un terroir sérère avant d’être annexé par les Diolas puis par les Manjacques. Fondé en 1878 par un Sérère du nom de Lassouk Faye, le village insulaire de Sifoka, dans la commune de Diembéring, département d’Oussouye, est un territoire plein d’histoires. Petite de taille, l’île connaît aujourd’hui une expansion démographique. Virée dans cette partie de la Basse-Casamance où il fait bon vivre et où se réveille un peuple jadis d’ethnies différentes qui, désormais, parle la même langue (diola).
Un reportage de Gaustin DIATTA (Correspondant »Le Soleil »)
ZIGUINCHOR – Pour se rendre à Sifoka, il faut d’abord, à partir de la ville de Ziguinchor, prendre la route pour rejoindre le village des pêcheurs d’Élinkine, dans la commune de Mlomp. Avant d’arriver à destination, on contemple la végétation luxuriante et découvre, en même temps, plusieurs villages de l’arrondissement de Nyassia. Dialang, Étomé, Djibonker, Brin puis Loudia Wolof (dont Sam-Sam, Samatite, Kagnoute) se laissent découvrir, avant qu’Oussouye, capitale départementale du Kassa, vienne fermer la marche. Quelques heures après, nous voici à proximité de la rive du fleuve Casamance, à un jet de pierre de la base navale d’Élinkine. Il est 21 heures passées et le temps est sublime. Après une pause chez Bamba Laye, nous embarquons sur une pirogue pour rejoindre l’île de Djirouatou, l’autre merveille offerte par la nature. Nous y avons passé la nuit. Le lendemain dimanche 20 février, vers les coups de 12 heures, nous nous offrons une petite excursion en naviguant le long du fleuve Casamance. À bord de la pirogue motorisée de la « Palmeraie les Robinsons », un petit campement écolo, on observe les « bolongs » bordés d’un côté comme de l’autre par les mangroves. Destination Sifoka, à la recherche de l’eau douce. Sur cette terre ferme, il y a une citerne impluvium construite depuis 2002 par une structure privée, à l’initiative d’abbé Christian Manga, un fils du village de Mlomp. Les 150 habitants de Sifoka utilisent cette eau, en attendant la mise en service des deux forages et du château d’eau construits à Diembéring, dans le cadre du projet d’alimentation en eau potable des îles de la Basse-Casamance initié par l’État avec le soutien de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea).
Un endroit où il fait bon vivre
À peine accostés vers les coups de 13 heures passées de quelques minutes, nous apercevons la petite île de Sifoka. Dans la cour d’une des maisons, trois garçons jouent au football avec un ballon de fortune. À l’ombre, une femme et une jeune dame tressent de petites filles, pendant qu’une autre s’affaire autour du repas de midi. À cette heure de la journée, c’est le calme qui règne à Sifoka. Un havre de paix qui totalise une quinzaine de demeures. Des maisons classiques, parfois même identiques et situées à proximité des forêts de palétuviers et des terres cultivables. En saison des pluies, les habitants de cette île n’ont pas besoin de parcourir des kilomètres pour aller cultiver. Les rizières se situent tout près des habitations. Ici, le climat est doux avec une température annuelle qui oscille autour de 26°c.
Quand on débarque à Sifoka, on a l’impression que le temps s’arrête par moments. Chef de ce village depuis cinq ans, Julien Diatta nous relate l’histoire de ce petit hameau qui existe depuis 144 ans. « Notre village a été créé en 1878 par Lassouk Faye, un Sérère venu du Saloum. Il s’était installé à Élinkine pour mener son activité : la pêche. Un jour, il a découvert cette île et est aussitôt tombé sous son charme. Dès son retour à Élinkine, il s’est informé pour savoir à qui appartenait ces terres. On lui fit comprendre que c’était pour le village de Bouyouye, dans la commune de Diembéring. Il s’est rendu dans cette localité pour demander à ce qu’on lui cède toute l’île en contrepartie d’une grosse somme. Les gens ont refusé de vendre, mais lui avaient proposé de venir y habiter s’il le souhaitait. C’est de cette manière que le Sérère s’était installé à Sifoka », explique l’autorité suprême des lieux située non loin de Wendaye, une autre île.
Une dissimilitude culturelle sans heurts
Sifoka est un village qui abrite plusieurs ethnies. Outre les Sérères qui y sont arrivés en premier, les Diolas (les Diatta) sont également venus s’y installer. Les Manjacques (Gomis) sont arrivés en troisième position. Autrefois, ce brassage linguistique et culturel conférait à Sifoka un caractère particulier. Mais, au fil du temps, tout le monde s’est « converti » en diola bon teint. Ici, précise le chef de village, tous les habitants se connaissent, se côtoient et ont toujours vécu dans une parfaite harmonie. Même du temps de Lassouk Faye rappelle Julien Diatta, Sifoka gardait jalousement cette particularité d’un territoire paisible. « Il n’y a jamais eu de problèmes entre ces trois ethnies. D’ailleurs, le Sérère et le Diola restent des frères pour toujours. Aujourd’hui, nous sommes un même peuple et une même ethnie. Ici, on ne fait jamais de distinction entre Sérère, Diola et Manjacque. Parce que nous sommes tous des Diolas sans exception », insiste le chef de village de Sifoka.
Une île, une école de fortune
Malgré son charme, Sifoka dispose d’une école élémentaire de trois salles de classe (dont une en abri provisoire) logée au foyer des jeunes. C’est seulement en 2011 que cette partie de la Basse-Casamance, qui existe depuis 144 ans, a vu l’ombre d’un tableau et d’un enseignant, en l’occurrence Damien Diédhiou, un fils du village d’Émaye, dans la commune d’Oukout. Pendant toutes ces années, les enfants étaient ventilés dans les établissements des autres localités de la zone, notamment à Élinkine, Diembéring et Cabrousse. Ils ne rentraient à Sifoka que les week-ends ou durant les grandes vacances. Le chef de village a connu ces moments. Il étudiait à Élinkine. Quand il quittait Sifoka pour ce village des pêcheurs, ses parents lui donnaient 30 pots de riz à remettre à son tuteur. Actuellement, la donne a un peu changé avec l’érection d’un établissement scolaire. Après leur entrée en sixième, les élèves sont automatiquement orientés dans les différents collèges de la commune de Diembéring ou de Mlomp. D’après le chef de village, Julien Diatta, Sifoka mérite « enfin » d’avoir une école élémentaire capable d’absorber le flux de jeunes élèves qui ne demandent qu’à être formés.
Un mari, deux épouses et deux quartiers
Sifoka fut un petit territoire avec deux quartiers (Baraxaye, les rôniers et Koukinekaka, qui ont accueilli les premiers habitants). À l’origine de la division de ce village en deux quartiers, les deux épouses qu’avait le premier habitant Lassouk Faye. Il avait des enfants avec les deux. Avant son rappel à Dieu, il avait partagé les terres. L’une de ses femmes devait rester à Baraxaye et l’autre à Koukinekaka. D’où l’existence de ces deux quartiers à Sifoka. Mais, au fil du temps, l’île s’agrandît. Quand on tourne le dos à Sifoka, on laisse derrière un terroir plein d’énergie. Au lever du soleil, en cette période du mois de février, tout bouge dans cette île. Les femmes naviguent sur le fleuve Casamance à la recherche des huîtres et autres produits halieutiques, les hommes embrassent les palmiers à la quête du vin de palme vendu à 400 FCfa le litre. Tandis que les quelques jeunes restés au village s’activent dans la pêche. À Sifoka, les habitants vivent très loin de la pollution et du bruit des « bons dimanche » et des « sabar wolof » de Ziguinchor, des activités ludiques mais si bruyantes. Ici, tous respirent de l’air pur qui provient du fleuve Casamance. Sifoka si loin du brouhaha et si proche de la douceur du bon vivre.