ENTRETIEN
Toumani SANGARÉ est réalisateur/producteur basé à Bamako, Dakar et Paris. Il est membre fondateur en 1995 de Kourtrajmé Productions. Humour, violence et sincérité s’entremêlent dans ses réalisations. Depuis 2017, il réalise des séries et longs métrages en Afrique.
Il nous a accordé des minutes en prélude de la projection de son film Mamy à la 4e édition du Festival Dakar Court, en décembre 2021.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?
Mamy, c’était une volonté pour moi de m’exprimer sur la crise politique, économique et sécuritaire que vit actuellement le Mali depuis 2012. Je suis père de deux petites filles. J’avais envie de militer d’une certaine manière pour la cause des femmes et en particulier les femmes en politique. La mère de notre héroïne est la première femme présidente de la République du Mali, un symbole fort.
Pourquoi le choix de cette petite fille ?
Il était pour moi très plaisant de travailler avec cette jeune fille qui est ma nièce. Il y avait cette envie de donner la parole et une présence féminine. Le fait que ce soit une enfant permettait de donner du recul, à travers une parole un peu terre à terre, ce qui n’est pas le cas des adultes dont le discours est lissé, et reste politiquement correct. Et la naïveté d’une petite fille me permettait une certaine liberté dans le propos. Mamy est une petite fille emprise de peur et dont les craintes sont fondées.
Pourquoi le personnage de Modibo Keïta ?
Il est né d’une envie de faire un film sur lui, en tant que premier Président du Mali et acteur de l’Indépendance. J’ai voulu lui rendre hommage, à cette période où tout a commencé. Modibo, c’est le Mali des années 70. Je trouvais intéressant de projeter ce regard du passé d’un vieil homme sur le présent. Et pour nous c’était important de garder vivante l’icône Modibo, de par sa prestance et son aura. C’était une manière de le faire exister et de le faire vivre à travers des éléments comme les mains, les yeux, des parties de son visage et ses pieds.
Modibo pleure : est-ce des larmes de remords ? Ou des larmes qui montrent ses failles ou limites, malgré son ambition pour le Mali et pour l’Afrique en général ?
Les larmes de Modibo, c’est les larmes d’un grand-père qui écoute sa petite fille. Mamy ça pourrait être sa petite fille. Et quand on est vieux, l’ancienneté nous fait prendre du recul.
Le mal du Mali a-t-il été les hommes ? Le film est situé en 2024 et le Mali vient d’élire une femme comme Présidente. Est-ce une façon de dire aux hommes de céder la place car ayant déjà fait leurs preuves ?
Effectivement, les hommes ont montré leur impuissance, leurs limites, jusqu’à aujourd’hui, et je pense qu’il faut donner la chance aux femmes de voir si elles peuvent résoudre les maux, les conflits et querelles qui minent la société malienne : trouver des compromis, réunir et apaiser les egos et l’orgueil de tous ces hommes qui sont acteurs de cette insécurité. Il était normal de susciter le débat sur la place des femmes en politique et leur importance dans la vie sociale et politique de notre société.
Modibo Keita, Thomas Sankara et Kwame Nkrumah apparaissent en fin de film. En tant que combattants anti-impérialistes ? Des révolutionnaires ou des résistants ?
Ayant grandi avec un Papa militant qui a été un acteur fort de la lutte contre la dictature et de l’avènement de la démocratie de la deuxième République du Mali, c’est un hommage à mes pairs. J’ai grandi avec ces images, j’ai le souvenir étant enfant d’aller chez un Tonton Issa Ndiaye. Je me souviens des photos de ces hommes politiques que je voyais à l’entrée. Ces personnalités ont été élevées au rang d’icone, on les admire. Je voulais montrer qu’on a besoin de références, de valeurs. Il y aurait certes de quoi nuancer ce qu’ils ont pu faire mais je voulais leur rendre hommage.
Le film commence par des images sur certains combattants anti impérialistes, avec un zoom sur la photo de Kadhafi.
Aujourd’hui, l’insécurité qui règne au Mali est un dommage directement causé par la mort de Kadhafi. Il soutenait financièrement les populations du nord du Mali, et leur évitait d’aller dans les trafics et les prises d’armes.
Vous reprenez ce qui s’affirme aujourd’hui dans l’opinion malienne sur le djihadisme, la gouvernance, le rapport avec la France. Quel intérêt de répéter ce qui se dit dans la rue ?
Justement, je dis tout haut ce que les gens pensent tout bas, et d’ailleurs beaucoup de gens me l’ont dit. On n’ose pas froisser notre ami français. Moi, étant franco-malien, je n’ai pas de souci à critiquer la moitié de moi, je critique la France et le Mali. C’est à ça que sert le cinéma : susciter le débat et poser ce qui se dit dans la rue. Et je sais qu’aujourd’hui, les Français n’ont pas la même réticence à écouter la critique, alors, que nous, on a du mal à écouter les critiques. Il faudra évoluer là-dessus.
Quelles leçons devons-nous tirer de Mamy ?
C’est un film qui est là pour susciter des débats. Je ne suis pas là pour dire ce qui est bon ou mauvais, ce n’est pas le sujet du film. Je ne suis pas moralisateur. Même si mon constat peut être amer, il veut susciter l’espoir. Une femme présidente au Mali en 2024, c’est de l’espoir, même s’il reste beaucoup de combats à mener !
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Mbaye Laye MBENGUE
avec la collaboration de Chérifa Sadany SOW