Il est tout à fait impossible de ne pas se rappeler El Hadji Malick Sy rien qu’en évoquant la naissance du prophète. Il est davantage impossible de ne point penser à lui en ces moments de revitalisation de l’esprit et de l’âme à travers les séances de « bourd ». Voilà pourquoi SeneNews lui consacre son tout premier numéro de la nouvelle rubrique « UNE VIE, UN VECU ». C’est surtout un prétexte pour, non pas faire la biographie de l’homme que tous savent presque par cœur, mais apprécier la trajectoire de l’homme en mentionnant juste quelques de ses vertus cardinales.
Les convictions et les appels de Maodo
Dans un hadith rapporté par Abu Hurayra, le Messager d’Allah (SWT déclarait que l’islam avait débuté démuni et dépourvu, et qu’il finirait comme tel ». Cette prophétie se concrétise au fil du temps et de moins en moins de musulmans peuvent réclamer partie du cercle restreint des vrais pratiquants. C’est conscient de cela que Seydi El hadji Malick Sy avait prié son Seigneur de lui faire la grâce d’être parmi le nombre très réduit de ceux qui pratiqueront la religion telle qu’enseignée par le prophète Mouhammad (Psl).
Dans des vers, que les fidèles récitent souvent dans les prières après les séances de wazifa, Maodo invoque ce hadith en ces termes : « Vous avez raison (Prophète). Aux temps présents, la religion est aussi démunie qu’elle l’a été au début. Seigneur, inscrivez notre communauté dans cette assemblée de démunis et l’assemblée de ceux qui suivent la sunna du prophète avec rigueur ».
En réalité, le Saint homme ne s’est jamais limité à prier que son âme et celles de ses disciples soient sauvées. Il les a invités, tous autant qu’ils sont, à emprunter le droit chemin, seule issue pour bénéficier de l’intercession du prophète de l’islam.
D’ailleurs, les rares appels que Maodo a faits tournent autour de la pratique d’un islam authentique et pur. C’est pourquoi il dit dans un vers très célèbre : « oh vous, fils de ce temps, je vous invite à pratiquer vivement la religion sur la base des connaissances. Alors, répondez » ! L’autre invitation lancée par le sage de Tivaouane concerne la commémoration de la naissance du prophète Mouhammad (Psl) dans son poème Laamiya : « oh, commémorez la nuit de la naissance du prophète pour récolter des grâces tant que la célébration ne pense vers l’interdit ».
Une soif de connaissances inextinguible
Le vécu de Seydi El Hadji Malick Sy laisse apparaître une personnalité assoiffée de connaissances, pétrie d’humilité et par-dessus tout intellectuellement honnête. Ses valeurs se constatent sans beaucoup de peine dans ses écrits et ses dires. A l’instar de Cheikh Ahmad At-Tidiane qui appelait ses disciples à peser tout ce qu’on lui prêtera sur la balance de la charia pour voir la conformité (appliquer le cas échéant et laisser le cas contraire),
Maodo laissera entendre qu’il ne désire que suivre le prophète pas à pas
De sa naissance en 1855 (Gaé) à son rappel à Dieu en 1927 (Tivaouane), le vénéré El Hadji Malick Sy aura partagé toute sa vie entre l’enseignement et l’apprentissage. Sa trajectoire, en tant que jeune apprenant, force l’admiration puisque l’héritier spirituel de Cheikh Oumar Foutiyou Tall a parcouru bien des contrées en bravant la soif, la faim et la misère de ceux en quête de savoir. Du Walo au Djolof en passant par la Mauritanie, le Fouta, le Ndiambour et le Cayor, Malick Fawade (comme l’appelait-on au Walo) mettra tout en œuvre pour devenir le dévot qu’il finira par être au lieu de se laisser endormir par la révélation hautement significative de Foutiyou à son encontre. Pour rappel, Maodo avait fait l’objet, avant même sa naissance, d’une prophétie de la part d’El Hadji Omar quant à son privilégié statut de Khalife de la Tariqa Tidiane.
Humilité et Honnêteté intellectuelle
Les connaissances inégalables, emmagasinées au cours de ces différentes incursions dans le Fouta, le Walo et au-delà du Sénégal, ne sauraient être source de satisfaction si elles ne s’étaient pas adossées sur une honnêteté distinguée. Quoique disposant des connaissances larges et variées, dans tous les domaines de l’islam, de la charia et de la langue arabe, El Hadji Malick Sy n’a jamais voulu tirer la couverture sur lui. Son ego est toujours placé au second rang, dans ses rapports avec ses égaux. Cette forte disposition mentale est transparente chez l’homme se découvre dans ses différents poèmes et ses rapports avec ses contemporains. Deux exemples peuvent suffire pour corroborer cette ouverture d’esprit.
A l’orée du mois du Maouloud, célébrant la naissance du prophète, des séances de récitation du célèbre poème de Mouhammadou Al-Boushayri sont organisées. Cheikh El Hadji Malick Sy dont l’empreinte indélébile a accompagné la célébration de cette naissance telle qu’elle se fait aujourd’hui a tout bonnement décidé de s’effacer au profit de Boushayri. Voilà pourquoi, au lieu de lire ses nombreux écrits aussi pertinents que magnifiques, Maodo emprunte le « Bourdatoul Madih » pour les dix jours que dureront ces moments d’avant la naissance du Messager de l’islam.
Il s’y ajoute sa manie de toujours renvoyer aux sources de ce qu’il reprend, les titres de célèbres ouvrages qu’il a consultés, les grands savants auprès de qui il a pris par ci et par là. Ces références, signes d’honnêteté intellectuelle, foisonnent dans son chef d’œuvre, le Xilaasu Zhahab ou L’Or Décanté.
Un diplomate hors pair
El Hadji Malick Sy n’a jamais transigé sur ses positions et convictions certes, mais il a su user de sa sagesse pour vivre sa religion telle qu’indiquée nonobstant sa cohabitation avec les colons. Cette diplomatie est payant en ce sens qu’elle a permis au Maodo de son époque de s’adonner sans interruption à ses deux activités de prédilection : enseignement et apprentissage.
En effet, l’implantation des zawiyas de Saint-Louis (1892) et de Dakar (1909) à quelques jets de pierre du siège de l’administration coloniale est une preuve par neuf de la réussite de la méthode d’El Hadji Malick Sy. De ces deux temples s’élevaient les voix matinales et vespérales des fidèles récitant à tue-tête la salaatul faatihi. Ces incantations ont valu à Maodo des convocations de l’autorité coloniale entre 1893 et 1905 mais il leur dira en toute responsabilité que ce qu’ils assimilaient à des cris de guerre n’étaient autres que des formules de prières pour les fidèles de Cheikh Ahmad At-Tidiane.
Cette façon de faire, pacifique mais efficace, est héritée du Messager d’Allah (SWT). Lors du Traité d’Houdaybiya qu’il a signé avec les Mecquois, en 628, le prophète Mouhammad avait été obligé d’effacer de l’accord la mention « Messager de Dieu » qui accompagnait son nom. Malgré sa conviction, le prophète, sachant que cela n’aurait aucun incident sur lui, avait juste agi suivant la voix de la sagesse en accédant à leur demande. La principale concession faite par le Messager est sa décision de reporter son pèlerinage à l’année suivante. D’ailleurs, le prophète répondit à Omar Ibn Khattab qui n’était pas d’accord avec les termes de l’accord que c’est la volonté de Dieu.
Cette diplomatie consistant à faire des concessions, tant qu’elles n’empêchent pas de bien s’acquitter de ses obligations, El Hadji Malick Sy l’a aussi utilisée pour vivre en harmonie avec les colons mais aussi avec ses pairs chefs religieux.