Abdoulaye Wade offre refuge à Alpha Condé, le Président guinéen déchu. Une proposition qui n’est pas anodine, quand on connaît le passé des deux hommes liés par une grande amitié, des secrets et des médiations.
Beaucoup ne le voyaient pas venir. Cette offre d’asile émanant de Me Abdoulaye Wade a suscité interjections et interrogations. Un sanctuaire sans plaider au préalable pour sa libération. Comment un ancien président de la République peut proposer protection à un chef d’Etat déchu sans passer par l’actuel Président? Les interpellations sont alors multiples. «L’idée est bonne en soi. Mais il n’est plus habilité à offrir asile parce qu’il n’est plus président de la République», répond ainsi succinctement le politologue Yoro Dia. Il est d’avis que sur ce coup, Me Wade ne cherche qu’à perpétuer une vieille tradition sénégalaise qui consiste à offrir refuge aux hommes politiques qui sont dans une mauvaise passe.
«Le pays a toujours été une exception démocratique et c’est normal que les opposants des pays environnants trouvent asile ici. Quand Condé était opposant, il passait tout son temps entre Dakar et Paris. Ce n’est qu’à Dakar qu’il pouvait être opposant à Lansana Conté et Ahmed Sékou Touré, sous la protection bienveillante du Sénégal. C’est cela la grandeur du pays que d’accueillir Alpha Condé qui a toujours été anti sénégalais quand il est arrivé au Pouvoir. La meilleure façon de lui donner une leçon, c’est de l’accueillir», pense-t-il de la suggestion de Abdoulaye Wade. Pour lui, Wade n’a rien à gagner de la présence Condé au Sénégal. C’est juste, à son avis, de la générosité d’un ancien président de la République qui veut que le Sénégal tienne son rang d’asile démocratique du continent. Et c’est tout. Seulement, notre second interlocuteur, un journaliste très au fait de la relation entre les deux hommes, n’en est pas aussi convaincu. Il pense que plusieurs objectifs sont dissimulés dans ce projet. A travers ces bons offices, Me Abdoulaye Wade chercherait, d’après son analyse, à se repositionner sous les projecteurs. «Il veut mettre la pression sur les militaires putschistes afin qu’ils libèrent Alpha Condé. Sinon, comment l’héberger alors qu’il n’est même pas libre ? C’est aussi là une manière de faire parler de lui. Wade ne fait rien au hasard. C’est un fin politicien. C’est une manière de rebondir pour occuper les devants de la scène. Il met les projecteurs sur lui-même. C’est une balle de sonde. Il sait bien qu’il faut au préalable l’aval de Macky Sall», explique dans l’anonymat notre source.
Si Wade ouvre les portes de sa villa située sur la Corniche à Alpha Condé chassé du pouvoir, le 5 septembre dernier, au cours d’un putsch orchestré par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, c’est parce qu’ils sont liés par l’histoire. «Ils ont été ensemble dans la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France», dit le politologue Yoro Dia. Vieux briscards de la politique africaine aux parcours analogues, ils ont tous deux marché dans la boue avant d’accéder au trône. Leurs passés politiques se recoupent à travers plus d’un quart de siècle d’opposition marquée par des emprisonnements répétitifs. Même si les sanctions, plus lourdes pour Alpha Condé, sont allées jusqu’aux peines de mort.
«Ils entretiennent des relations qui ne datent pas d’aujourd’hui. Ils étaient deux opposants à la recherche du pouvoir. Wade s’est battu pendant 27 ans avant d’arriver au Pouvoir. Il a été emprisonné par Senghor et par Abdou Diouf. Condé s’est battu pendant 31 ans pour accéder à la magistrature. Il a été plusieurs fois emprisonné, condamné à mort par le régime de Sékou Touré et de Lansana Conté. Ce sont deux hommes qui ont une trajectoire commune et qui partagent leurs longues années d’expérience dans l’opposition. Ils ont été tous les deux Président de l’Association des élèves et étudiants d’Afrique de France», résume le Directeur général de Sepafrique Group, Mouhamed Fall Al Amine, un proche de Abdoulaye Wade. Les réclusions de Condé n’ont jamais laissé indifférent l’opposant d’alors, Abdoulaye Wade. Et à chaque fois que l’opportunité lui était offerte, il intercédait en sa faveur. Mouhamed Fall Al Amine : «Abdoulaye Wade est intervenu plusieurs fois auprès du Président Abdou Diouf et du Général Lansana Conté pour faire sortir Alpha Condé de prison.»
«A chaque fois que Condé était dans le creux de la vague, il venait à Dakar solliciter un appui financier auprès de Wade»
L’assistance de Me Abdoulaye Wade n’était pas que morale. Elle était aussi financière. Wade manifestait, dit-on, une grande générosité à l’endroit de l’ex-chef d’Etat de la Guinée. «Ils entretiennent une relation sincère. Cela date de plusieurs décennies. Quand ils étaient tous les deux dans l’opposition, Wade était plus loti que lui. A chaque fois qu’Alpha Condé était dans le creux de la vague, il venait à Dakar solliciter un appui financier auprès de Wade. Et il le faisait souvent pour lui. Lors d’une élection Présidentielle en Guinée Conakry, Abdoulaye Wade avait même commandé des tee-shirts à l’effigie de Condé. C’est juste un exemple pour dire que l’histoire de leur relation est profonde», confie, dans l’anonymat, un ancien proche collaborateur de Wade. «Le Président Wade était très généreux envers Condé quand il a pris le pouvoir. Wade a toujours soutenu Condé en lui donnant plusieurs fois de l’argent», confirme le Directeur général de Sepafrique Group, Mouhamed Fall Al Amine.
Tout comme lui, Condé a eu aussi à intervenir dans les choix ou décisions politiques de Wade. Mais de ce qu’ils en savent, nos interlocuteurs soutiennent que la seule «dette» de Wade envers Condé est la médiation faite entre l’ancien et l’actuel chef de l’Etat du Sénégal à la veille de la Présidentielle de 2019. Mouhamed Fall en est témoin. «J’étais au cœur de l’opération. Le Président Condé avait envoyé des émissaires à Wade pour l’inviter au Palais. Cette intervention avait été sollicitée par Macky Sall qui savait qu’il ne pouvait échapper à un deuxième tour, si Wade s’allie à Ousmane Sonko. Condé lui a affrété un jet privé. A Conakry, Condé a créé les conditions d’une audience téléphonique entre Abdoulaye Wade et Macky Sall. Il a appellé au téléphone le Président Macky Sall pour qu’il parle directement à Wade. L’une des conditions posées par Wade pour qu’il aille à la retraite était le retour imminent de son fils, Karim, au Sénégal et la réouverture du procès de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). C’est ce qu’on appelle le protocole de Conakry. Condé avait convaincu Wade de ne pas jouer un rôle dans l’élection Présidentielle de 2019. C’est pourquoi il est revenu sur sa décision de soutenir Ousmane Sonko», se rappelle Mouhamed Fall.
Même si ce n’est pour le moment qu’un simple avis, Condé pourrait ne pas facilement bénéficier de l’asile au Sénégal. Notre interlocuteur se dit sceptique. «C’est difficile pour que Condé viennent à Dakar sachant qu’il y a 4 millions de Guinéens au Sénégal. Les militaires putschistes ne veulent pas lâcher Condé parce qu’ils ne sont pas tranquilles. Il faut qu’ils parviennent à asseoir leur politique de pouvoir. Condé est dangereux hors de la Guinée. Plus encore quand il sera à la porte de la Guinée (Sénégal), il faut reconnaître que les actuels dirigeants guinéens ne vont pas dormir. Il peut leur créer des problèmes. Encore qu’il y a une forte colonie guinéenne au Sénégal et on ne peut pas dire qu’ils sont tous avec l’opposant Cellou Dalein Diallo. Il y en a qui soutiennent Alpha Condé», argumente une source ayant requis l’anonymat.