Nous avions applaudi à la (re)naissance, d’autres diront la résurrection, de la compagnie aérienne nationale Air Sénégal. Le Président Macky Sall avait fixé un cap ambitieux, celui de donner à Air Sénégal l’envergure ou la dimension d’Ethiopian Airlines, après 20 ans d’exploitation. Air Sénégal n’en est encore qu’à sa quatrième année d’exploitation ! La position géographique du Sénégal fait de Dakar un hub naturel, déjà que la ville constitue une porte pour l’Afrique, notamment pour les ouvertures vers le continent américain. Dakar s’est vu doter d’un nouvel aéroport, l’un des plus fonctionnels et des plus modernes d’Afrique.
Le premier acte a aussi été de donner tous les atouts à Air Sénégal, en la dotant d’une flotte dont aucune compagnie nationale africaine n’a pu rêver à sa création. Pour lancer sa compagnie nationale, le Sénégal a choisi d’acheter des aéronefs de dernière génération. C’est un véritable signe d’une grande ambition. Air Côte d’Ivoire a ainsi été obligée de se réajuster en passant commande de la même gamme d’avions qu’Air Sénégal, pour ne pas se laisser distancer par cette nouvelle concurrente. Le Sénégal a poursuivi ses efforts pour renforcer sa flotte. Jamais un gouvernement sénégalais ou même africain n’a autant fait pour mettre une compagnie aérienne nationale sur la piste d’envol. Aujourd’hui, il est assez visible, sur le tarmac de l’aéroport Blaise Diagne de Diass, que la flotte d’Air Sénégal tient la dragée haute à toute compagnie d’Afrique au Sud du Sahara.
D’ailleurs, il est important de souligner que des pays comme le Nigeria ou le Ghana, bien qu’ayant plus de potentiels économique et démographique, ne possèdent plus de compagnie aérienne nationale. Dans ce domaine, la concurrence en Afrique de l’Ouest reste entre la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Sans doute que le Sénégal n’a rien fait d’exceptionnel, car toutes les compagnies aériennes publiques comme privées parfois, qui réussissent, bénéficient du soutien de leurs Etats. Si Air France a pu se hisser à son rang mondial et le garder dans une alliance avec Klm, c’est justement parce que les gouvernements français et néerlandais ont mis la main à la poche pour soutenir leurs compagnies. Emirates ou Qatar Airways doivent leurs succès à la générosité de leurs émirs. L’Allemagne continue, en toutes circonstances, à renflouer la Lufthansa, comme le Maroc, l’Ethiopie, la Grande Bretagne ou autres, le font pour leurs compagnies nationales respectives. On mesure les efforts du Togo pour essayer de soutenir la compagnie privée Asky dont il abrite le siège, ou encore les massifs soutiens que les Etats-Unis d’Amérique apportent à Delta Airlines ou American Airlines. Ainsi, on se tromperait dans l’analyse en croyant qu’Air Sénégal est une affaire de Macky Sall !
Le procès d’intention des amis de Karim Wade
Air Sénégal assure une desserte des vols intérieurs et de proximité avec des taux de remplissage satisfaisants et une qualité de service bien appréciée par les usagers. Le confort et l’excellent état des avions ne sont pas discutables. Air Sénégal s’est lancée dans une politique de vols moyens et longs courriers pour rallier des destinations comme Paris, Milan, New York et d’autres villes africaines comme Casablanca, Abidjan, Cotonou, Douala, Bamako, Niamey, Ouagadougou entre autres.
Mais Air Sénégal a été violemment prise à partie ces derniers temps, par un certain peuple de la twittosphère ou de Facebook. En effet, on a pu voir des personnes qui, à l’évidence, n’ont jamais pris un avion d’Air Sénégal (et pour cause !), multiplier des tweets ravageurs pour abîmer l’image de la compagnie, parce que certains passagers ont eu à déplorer des retards de vols ou des cas extrêmes de reports de vols.
Il a été facile de crier avec les loups alors que certains anciens collaborateurs de Karim Wade qui se sont bien illustrés dans le procès d’intention contre Air Sénégal, feignent d’oublier qu’ils nous ont laissé un aéroport de Diass encore en travaux, avec des contrats résiliés, après un délai de travaux deux fois plus long que ce qui était prévu. Ils ont aussi oublié que la compagnie Air Sénégal international (Asi) n’avait pu tenir que quelques courtes années d’exploitation avec un maximum de 5 aéronefs d’un autre âge, tous pris en location ou, au meilleur des cas, en leasing. Qui ne se rappelle pas de la rocambolesque fin d’Asi, le 24 avril 2009, quand le principal partenaire stratégique, la Royal Air Maroc (Ram), qui détenait 51% du capital de la compagnie, s’était arrangée pour se casser en «détournant» le seul avion qu’il avait donné à la compagnie en guise de participation au capital ? Combien de fois des passagers d’Asi étaient laissés en rade des jours durant, abandonnés à leur propre sort dans des aéroports du monde ?
Il reste légitime que des passagers ayant pris leur billet soient exigeants quant à la qualité de service. Il est toujours désagréable de poireauter dans des aéroports mais force est de dire que les attaques virulentes ont pu apparaître bien exagérées car frisant une volonté manifeste de jeter l’opprobre sur Air Sénégal. Quel est le but poursuivi quand on en arrive à inciter les passagers à se détourner d’une compagnie aérienne ? Ce devrait être hors de propos pour une personne qui voudrait le meilleur pour une compagnie aérienne ! Seulement, quand les responsables de la compagnie se sont mis à communiquer pour rétablir les faits, on a pu bien voir que certaines réactions traduisaient bien un autre état d’esprit que celui de pousser la compagnie aérienne nationale à améliorer les standards de qualité. Statistiques à l’appui, le Directeur général d’Air Sénégal, Ibrahima Kane, a démontré que sa compagnie fait partie des compagnies aériennes qui respectent le mieux les moyennes et standards de respect des horaires. Il a en outre révélé qu’un vol Douala-Dakar, qui a suscité un gros courroux, avait été annulé pour cause de maladie du Covid-19 de deux membres de l’équipage et qu’il fallait clouer l’avion au sol le temps de remplacer ou compléter l’équipage. Quelle compagnie aérienne n’a pas été confrontée à de pareils déboires ces derniers mois ?
Il y a lieu aussi de témoigner que depuis sa création en 2018, j’ai personnellement pris Air Sénégal sur ses destinations vers Abidjan, Niamey, Ouagadougou, Conakry, Paris, Praia, Ziguinchor et Cap-Skiring, mais jamais je n’ai encore eu la malchance d’accuser un retard de vol de plus de 30 minutes sur les horaires indiqués à la vente. Pourtant, certains pourfendeurs de la compagnie Air Sénégal ont bien eu à souffrir de retards de vols de plusieurs heures sur des compagnies comme Air France, ou même des situations de vols annulés sans jamais pondre un tweet de protestation pour fulminer ou déverser leur colère. Les grands voyageurs le savent bien.
Nous aiderions Air Sénégal en nous comportant à Diass comme nous le ferions dans tous les autres aéroports du monde
Il n’en demeure pas moins qu’Air Sénégal ne devrait être absoute de tout. Bien au contraire ! La concurrence à un certain niveau exige une remise en cause permanente et une évaluation des prestations. Autrement dit, jouer dans la cour des grands impose des exigences à tous points de vue. Le management de la compagnie devra être sans reproches et certaines «sénégalaiseries», pour reprendre le mot de notre confrère Ibou Fall, devraient être bannies. En effet, un certain esprit «garawoul» (Ndlr: C’est pas grave) qui ferait qu’on accepte par exemple de retarder un vol pour satisfaire le caprice ou la négligence d’on ne sait quelle autorité ne devrait être toléré. De même, le personnel navigant commercial devrait cesser certaines pratiques de «Gp» qui consistent à convoyer des marchandises pour des particuliers contre paiements de sommes, à l’insu supposé de la compagnie. Les règles à l’enregistrement doivent encore être rigoureuses.
On assiste bien à l’aéroport de Dakar à certaines tolérances ou des passe-droits à l’enregistrement, à l’embarquement comme au débarquement, qu’aucun passager, quel que soit son statut social, n’oserait demander à partir de l’aéroport de Charles De Gaulle de Paris, où le «handling» pour les vols d’Air Sénégal est effectué par les services de la compagnie Air France.
Déjà, dans une chronique en date du 29 octobre 2019, nous soulignions notamment que «les responsables de l’exploitation d’Air Sénégal auront beaucoup à combattre de nombreux travers comme un laxisme et une désinvolture coupable dans les relations avec la clientèle. Air Sénégal ne devrait avoir le moindre complexe devant aucune compagnie au monde pour la qualité de ses avions et doit en conséquence exiger de son personnel une qualité de service à la hauteur des attentes des voyageurs. Des passagers qui ont fait le voyage de Dakar à Paris en classe économique par exemple ont pu relever une forte médiocrité dans la qualité des services offerts que cela en était incroyable. De même, alors que les aéronefs ont été payés tout neufs, certains sièges commencent à présenter un état de vétusté qui dénote d’un évident défaut d’entretien». On ne peut s’imaginer quels pauvres esprits se mettraient à dégrader délibérément les sièges.
On peut ajouter, au vu d’une expérience récente, que c’est véritablement se manquer de respect à soi-même et à la clientèle, qu’un avion décolle de sa base d’attache logistique avec des toilettes dans un état repoussant. Les agents préposés à un tel service ne se permettraient certainement pas de préparer avec autant de négligence les toilettes des avions européens décollant de Dakar. La police sénégalaise devrait aussi se montrer à la hauteur de ses missions. On a vu la semaine dernière, à l’embarquement d’Air Sénégal à Dakar, un responsable se permettre, comme pour narguer son monde, de sortir chaque fois de belles dames des rangs pour les faire passer devant le contrôle de police, avant les autres passagers qui gardaient leur mal en patience dans les files. A l’opposé, on a vu un membre du gouvernement (et non des moindres !), suivre les rangs à l’enregistrement sur un vol pour Milan et à l’embarquement, sans chercher le moins du monde à user de privilèges légitimes attachés à ses fonctions.
Par ailleurs, le soutien de l’Etat du Sénégal devrait aussi se manifester davantage par des politiques incitatives comme, par exemple, d’interdire formellement aux agents publics et à d’autres catégories de citoyens de prendre une compagnie aérienne autre que la compagnie nationale, sur toutes les destinations desservies par celle-ci. La préférence nationale de rigueur, fait obligation aux agents de l’Administration publique américaine de prendre en priorité les compagnies aériennes de leur pays. Aucune tolérance n’est faite sur ce point. Le Sénégal ne devrait pas être en reste.