Chaque travail apporte ses tracasseries. Mais pour les lingères, chaque jour est un défi de plus pour assurer leur survie. Entre salaires de misère et santé fragile, elles n’hésitent pas à se jeter à l’eau pour une vie meilleure.
À la rue 27×20 du populeux quartier de la Médina, Aby Sène sort du lot. La lingère est la doyenne dans ce coin réputé pour accueillir des lavandières. Celles-ci y sont particulièrement nombreuses. Il faut passer par elle avant de discuter avec ses collègues, certainement pour ne point déroger au droit d’aînesse. En effet, la dame de 70 ans est riche d’une expérience de plus de trois décennies dans ce métier. Boubou en wax rose et mouchoir de tête bien ajusté, elle a acquis une certaine sagesse, d’où sa sérénité. Aby Sène frotte, rince et tord le linge à toute vitesse afin d’empocher quelques sous à la fin de la journée. «Le travail est très éprouvant. Nous gagnons entre 3000 et 4000 FCfa par jour», révèle-t-elle, quelque peu peinée. Cette originaire de Ngoundiane (région de Thiès) se jette à l’eau tous les jours afin de se prendre en charge. Mais la vieille dame soutient que les affaires marchent moins bien en cette période. «C’est très difficile d’avoir des habits secs avec ce mois d’août. Il nous arrive de rentrer bredouilles à cause de la pluie. Cela retarde énormément le travail», a fait savoir la blanchisseuse. Cette dernière fustige aussi les retards de paiement : «Il arrive que des personnes laissent ici leur linge propre pendant des jours sans régler la facture. C’est un manque à gagner pour nous car cette paye constitue nos moyens de subsistance». Cependant, il en faut plus pour décourager la septuagénaire. Ses enfants comptent sur elles.
Awa Ngom n’est guère mieux lotie. La fatigue se lit sur le visage de cette bonne dame marquée par les ravages du temps. La peau ridée, ce corps frêle a du mal à supporter la bassine d’eau. Mais cela est loin de rebuter la lavandière. La cinquantaine révolue, faire la lessive est un métier qui n’a plus de secret pour elle. Employée de maison à 20 ans, Astou Ngom a dû changer de boulot. «Je ne pouvais plus attendre la mensualité pour subvenir à mes besoins», se justifie-t-elle. La mère de trois enfants donne tout pour sa famille. «Mes enfants sont ma source de motivation», confie Astou. Malgré ses conditions de vie précaires, elle se réjouit de les voir exceller dans les études. La lingère veut leur offrir une meilleure vie sans avoir à suer eau et sang pour des paies dérisoires.
Des corps suppliciés
Les tas d’habits propres attirent l’attention dans le coin qu’occupe Bineta Ndiaye. Ces vêtements attendent toujours leurs propriétaires d’après la laveuse. Assise sur un banc, à l’aide d’une brosse, elle essaie d’enlever une tache saillante sur un jean. Le visage perlé de sueurs, elle y met toute son énergie afin de satisfaire le client. «Ce métier nécessite beaucoup de force physique. Mais nous n’avons pas le choix», lâche-t-elle tout en accomplissant la besogne. La lavandière n’a pas eu la chance de faire les bancs. Elle a donc décidé de quitter son Thiès natal pour venir chercher fortune à Dakar. Cette mère de quatre enfants veut leur assurer un avenir plus enviable. «Je me bats pour eux et pour leur réussite dans les études», soutient la trentenaire, qui traine des douleurs pulmonaires. Ainsi espère-t-elle une reconversion dans le commerce.
Soxna Tine, elle, s’est très tôt embarquée dans cette galère. Elle y est depuis 15 ans. La lingère a du mal à cacher son amertume lorsqu’il s’agit de parler de son quotidien. Elle décrit un métier «décourageant» et sans aucune perspective. «Je ne me vois pas continuer à faire ce travail», dit-elle, amère. La quadragénaire estime travailler pour des miettes. «Je gagne à peine 5.000 FCfa par jour et il m’arrive de tout dépenser dans l’achat de médicaments. Ce travail supplicie le corps», se désole-t-elle, non sans révéler ses douleurs musculaires. «Je peux rester des jours sans travailler à cause d’un corps malmené et c’est un luxe que je ne peux pas me permettre», affirme-t-elle, le regard figé.
L’asthme, c’est le mal qui accable Khady Sène. Cette âme besogneuse a du mal à trouver le «bon rythme», l’équilibre entre la nécessité de ménager sa santé et la préservation de sa dignité par le travail pénible. Après tout, c’est son gagne-pain. «Il n’y a rien de plaisant dans ce travail», crache-t-elle, presque dépitée. La femme de 39 ans, lavandière depuis six ans, commence à sept heures pour finir à 13 heures. Six heures de labeur acharné. «Je suis fatiguée. Et rien ne se profile à l’horizon», gémit-elle. Son rêve, sortir de cette misère pour enfin voir la vie en rose.