L’époque où l’accès à Keur Diaw Ly était une aventure risquée pour les hommes en uniforme et les élus est révolue. Même si ce phénomène y était scrupuleusement respecté par le passé, ce village vit aujourd’hui au rythme normale, sans tabou ni contraintes, abandonnant un héritage qui faisait son identité.
Situé à deux kilomètres de la commune de Sagatta Gueth dans le département de Kébémer (région de Louga), le village de Keur Diaw Ly a été fondé vers 1700 par un érudit musulman du nom de Mame Diaw Ly Sèye. Il était originaire du Fouta. Doté d’un savoir islamique et très apprécié à son époque par sa maîtrise de la science religieuse et du Coran, le fondateur du village qui était à la recherche d’un espace propice à la pratique de la religion musulmane finit par s’établir sur ce site du Gueth (un démembrement géographique du Cayor), dans le département de Kébémer. Préoccupé alors que par l’éducation religieuse et l’encadrement des enfants pour leur inculquer une formation islamique, il s’est vite attiré la sympathie des populations riveraines du site qu’il s’est aménagé. « Nos grands-parents nous ont appris qu’il était venu comme un missionnaire chargé de propager l’islam dans cette zone fortement dominée alors par les pratiques païennes », explique l’imam du village, Baye Gora Ndongo. Mais selon le Chef du village, Serigne Samb, qui ne dispose d’aucune archive ou de repères pour situer la date de la création du village dans l’histoire qui remonterait à 1700, tout porte toutefois à croire que son origine remonte aux temps de l’ancienne province du Cayor. Car, à cette époque, renseigne Serigne Samb, « toutes les localités étaient presque à la merci des rois du Cayor et de leurs alliés qui se permettaient toutes les dérives et actes désobligeants envers les populations ». C’est pour cette raison, renseigne notre interlocuteur, que dès son installation sur les lieux, le fondateur du village eut pour premier soucis d’assurer la protection de la localité et de ses occupants par des procédés mystiques. Selon lui, « les populations des autres localités ont afflué vers lui afin de trouver protection et de s’initier au Coran considéré alors comme le seul moyen d’échapper aux pratiques des familles royales de l’époque ».
C’est ce qui est l’origine de l’interdiction par le chef religieux Mame Diaw Ly Sèye de toute présence d’un roi ou d’un homme en uniforme dans le nouveau village sans l’autorisation préalable du maître des lieux qui était inflexible sur cette mesure, selon l’imam Baye Gora Ndongo. De sorte que les autorités royales qui voulaient traverser le nouveau village où s’y rendre pour solliciter des prières abandonnaient leurs habits à l’entrée après une autorisation préalable du chef religieux.
Une tradition abandonnée par les héritiers du fondateur
Malheureusement, se désole le chef du village, cette tradition n’a pas été conservée et perpétuée par les dernières générations et descendants du guide religieux dont certains ont quitté le village. Les rares petits-fils de Mame Diaw Ly Sèye restés sur place n’ont pas gardé l’héritage et la tradition religieuse laissés par leur ancêtre, préférant abandonner ce legs précieux. Ainsi a sonné la fin du tabou et l’effondrement d’un mythe qui faisaient l’identité d’une localité jadis source de savoir islamique, mais aussi symbole d’une résistance mystique contre l’oppression des rois de l’ancien Cayor. Toutefois, de ce qui reste de l’héritage qui rappelle le passage de Mame Diaw Ly Sèye dans le village, le patriarche Serigne Samb révèle que les herbes ne poussent jamais durant l’hivernage sur l’emplacement et les alentours immédiats de la tombe du fondateur du village. Aujourd’hui, le cimetière, clôturé par un arrière-petit-fils de Mame Diaw Ly Sèye, attire souvent des fidèles qui viennent se recueillir. « Tout ce qui nous reste de cette tradition, c’est la tombe de Mame Diaw Ly que nous entretenons grâce à Racine Sy ; un de ses arrières petits-fils qui a aidé à clôturer les lieux afin de garder ce qui nous reste de cet héritage », se désole le chef du village. La localité qu’il dirige est passée d’un site historique à un village anonyme n’ayant conservé que les stigmates d’un passé glorieux.
PLACE PUBLIQUE DU VILLAGE DE KANÈÈNE NDIOB
Hommes en uniforme, contournez !
Le village traditionnel de Kanèène Ndiob a une tradition particulière. Du fait de son histoire et de ses valeurs traditionnelles, il dispose d’une place publique dont l’accès des hommes en uniforme est synonyme de perte de pouvoir, mais ne constitue pas une menace s’ils sont en «tenue civile».
L’histoire du village de Kanèène Ndiob remonte au 16ème siècle. Situé dans l’actuelle commune de Sagatta (Département de Kébémer) et appartenant à l’ancien royaume du Cayor, Kanèène Ndiob est distant de 12 kilomètres de Keur Amadou Yalla, village d’origine de Lat Dior Ngoné Latyr Diop ancien Damel du Cayor. À l’époque, sur cet emplacement, n’existait que le village appelé Ndiob peuplé alors de «ceddos» et placé sous le joug du Damel de Cayor. Durant cette période du 16ème siècle, un nommé Amadou Racine Kâne, un chef religieux originaire de Dimatte dans le Fouta, de retour de l’Université Khaly Amar Fall de Pire où il s’était rendu pour parfaire ses études islamiques, fit une escale dans la localité en plein hivernage. «Il s’est produit un miracle qui a étonné plus d’un habitant de la localité et qui a fait affluer tous les notables vers le lieu où l’homme s’était installé», selon Modou Aminata Kâne, conservateur des archives de Kanèène Ndiob et descendant du fondateur du village.
Abrité sous un grand arbre alors qu’il pleuvait abondamment dans toute la zone, le périmètre qu’il avait aménagé pour s’y installer avec ses affaires n’a reçu la moindre goutte d’eau. Les notables du village, informé de ce fait inédit, se rendirent par curiosité sur les lieux pour constater ce qu’ils ont considéré comme un miracle. Ils en ont déduit un mystère et demandé à l’homme, qui répondait du nom de Amadou Racine Kâne, de s’établir dans la localité afin d’inculquer le savoir islamique et enseigner le Coran aux enfants de la zone. Le marabout accepta l’offre des notables et finit, avec le temps, par épouser une femme de la localité, Marame Dièye, handicapée physique avec qui il eut un enfant.
Seulement, le chef religieux ne verra pas son futur enfant parce que ses parents du Fouta, informé de sa présence dans cette localité, ont entrepris des démarches pour le ramener chez les siens qui avaient besoin de lui et de ses pouvoirs mystiques. C’est quelques mois après son départ que sa femme, confiée à ses propres parents de Ndiob, mit au monde un garçon qui porta le nom de Abdou Marame Dièye Kâne. Un prénom que son père avait choisi avant de quitter les lieux. Et c’est ce dernier qui deviendra le fondateur du village de Kanèène Ndiob situé à quelques kilomètres du site où Amadou Racine Kâne s’était établi.
«Dakhar Penc» : la place publique interdite d’accès aux autorités
Le nouveau village créé par Abdou Marame Dièye Kâne porta alors le nom de Kanèène (en référence au patronyme Kâne) et Ndiob (du nom du village qui a vu naître Abdou Marame Dièye Kâne). À l’époque, informe Moustapha Kâne, chef du village intérimaire de Kanèène Ndiob, les pratiques traditionnelles de «ceddos» constituaient une menace réelle pour la quiétude des populations autochtones. «Les rois de l’époque avaient l’habitude de faire incursion dans les villages, dépossédaient les hommes de leurs épouses, tuaient les maris récalcitrants et prenaient en otage des jeunes transformés en esclaves», explique Moustapha Kâne. Afin de mettre fin à ces pratiques et n’ayant pas la force nécessaire pour opposer une résistance aux rois d’alors, le chef religieux, afin de protéger les populations contre de telles pratiques avait entrepris des prières et des actions mystiques.
Dès lors, la solution n’était plus dans la «résistance armée», mais dans une solution mystique. C’est ainsi que, renseigne Modou Aminata Kâne, «tout le périmètre du village a été sécurisé par le chef religieux et aucun roi de l’époque n’a pris le risque de violer les frontières du village». À titre d’illustration, notre interlocuteur révèle qu’un chef de Canton de Thiolom Fall du nom de Yandang Yoro, qui avait bravé l’interdiction en pénétrant dans le village avec son uniforme pour menacer les populations, fut destitué quelques semaines après son acte, de sorte que tous les rois de l’époque qui rendaient visite au marabout se débarrassaient de leurs uniformes à l’entrée du village.
Seulement, avec l’évolution et la fin de la royauté, les notables religieux du village décidèrent de «desserrer l’étau» et de circonscrire l’interdiction d’accès des autorités et des élus à la seule place publique appelé «Dakhar Penc» (en référence à l’arbre qui accueillit le fondateur du village) et qui abrite toutes les cérémonies organisées dans la localité. Une nouvelle situation qui poussent d’ailleurs les notables parfois à intercepter une autorité en uniforme à l’entrée du village et qui ignore la réalité des lieux pour lui conseiller de défaire de sa tenue avant d’arriver à la place publique pour leur éviter d’éventuels désagréments.
Actuellement, même si le village de Kanèène Ndiob, avec ses 4.000 habitants, devenue commune à la faveur de l’Acte 3 de la décentralisation, dispose de commodités (écoles françaises, poste de santé, etc.), il n’en demeure pas moins que la tradition est très respectée avec une succession au «trône» spécialement réservée aux descendants de la lignée directe de Abdou Marième Dièye Kâne, seuls désignés pour diriger le village et sauvegarder le legs des ancêtres.