La mort hier mardi du Président tchadien, Idriss Déby, a surpris plus d’un. Ses amis du Sénégal n’y croient toujours pas. Avec «L’Observateur», ils reviennent sur leurs relations avec le Maréchal du Tchad mort sur le théâtre des opérations et racontent certains secrets partagés avec lui.
ALIOUNE TINE, FONDATEUR D’AFRICAJOM CENTER : «Ce que j’ai eu de Idriss Déby…»
«J’ai connu Idriss Déby, Président du Tchad, quand j’ai été coordonnateur du mouvement M23, en 2011. Au moment de l’élection présidentielle de 2012 du Sénégal, j’avais eu cinq (5) coups de fil de chefs d’Etat, parmi eux Idriss Déby. Ils nous ont dit : écoutez, il faut aller aux élections au Sénégal. C’est la première fois que j’ai parlé à Déby en 2011. La deuxième fois, c’était en 2012. Il y avait beaucoup de diplomates de l’Union africaine. On nous avait demandé d’aller au Tchad. Quand j’y suis arrivé, j’ai demandé à rencontrer Idriss Déby. Ce qui a été fait. Je lui ai ainsi demandé la libération de Mahamat Saleh Annadif (ancien ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2003) qui était en prison à des milliers de kilomètres de N’Djaména, pour ‘’complicité de détournement de fonds publics’’. J’ai parlé à Idriss Déby de la libération de Annadif. Il m’a bien reçu et bien écouté. Il m’a accompagné jusqu’au portail. Je lui ai demandé de rencontrer toutes les personnes que je voulais rencontrer, notamment le Premier ministre, le Président de la Cour Suprême du Tchad. Finalement, ils ont fait le procès de Annadif et il a été libéré. J’ai eu ça de Déby. J’ai obtenu de lui la libération de Annadif qui est l’actuel patron de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) et qui va devenir bientôt le patron de l’Onu au Sénégal. Il faut être quelqu’un de très gentil, de très humain et de très ouvert pour faire ce que Idriss Déby a fait pour moi. Il faut aussi retenir de Déby quelqu’un de courageux, aussi un panafricaniste.»
MOUSTAPHA DIEYE, ANCIEN AMBASSADEUR ET EDITEUR DE PRESSE : «Comment le Président Déby m’a confié sa task-force de communication»
«J’ai des relations avec Idriss Déby qui datent de 2014. Lors du 11e Sommet de l’Union africaine en 2014 à Malabo, Déby a été bluffé par le magazine ‘’Afrique Démocratie’’, dont je suis l’éditeur. A la Une de ‘’Afrique Démocratie’’, il y avait l’effigie du Président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, qui recevait ses pairs. C’est en 2014, la même année qu’il est venu à Dakar pour assister au Forum paix et sécurité. Les services de son protocole se sont rapprochés du ministère des Affaires étrangères du Sénégal pour me chercher afin que je réponde à son invitation. C’est par le biais d’un ami diplomate (Souleymane Anta Ndiaye) que j’ai été informé que le Président Idriss Déby souhaitait me rencontrer. Je suis allé au Méridien où il était déjà avec le Président Macky Sall. Ils étaient tous deux assis dans un salon au Méridien où il y avait un protocole bien organisé. Courageusement, je suis allé à la rencontre de Déby. Tout le monde était étonné. Il m’a regardé les yeux grandement ouverts, je me suis présenté. Et il m’a dit : ‘’Ah, je vous cherche depuis longtemps.’’ Il m’a tapoté avec sa canne et m’a dit : «Je te reçois tout de suite.’’ Il m’a pris par la main et on a échangé. C’est le lendemain qu’il m’a reçu et m’a dit qu’il souhaiterait que je me charge de sa task-force de communication et en même temps lui trouver une imprimerie. Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de souci, tout en lui précisant que je travaillais avec le Président Obiang Nguema et que je suis à Malabo. Quand je suis parti à Malabo en 2015, j’ai reçu entre-temps, deux ou trois appels me demandant de venir à N’Djaména (au Tchad). Je suis allé et on m’a installé pendant un mois, le temps de signer mon contrat avec Déby. Après, je suis venu à Dakar pour constituer mon équipe parce que je devais lui créer un magazine, ‘’Cap Vision’’, qui était tiré à 15 000 exemplaires et mis à bord dans toutes les compagnies aériennes qui desservent N’Djaména. Cap Vision était créé pour redorer son blason au moment où il y avait des bisbilles avec Hissène Habré. J’ai fais presque deux ans avec Déby. Je garde un grand souvenir de lui. J’étais bien apprécié par Déby. Il me considérait comme un frère.»
DR SOULEYMANE ANTA NDIAYE, ANCIEN DIPLOMATE : «Déby m’a avoué que ses homologues chefs d’Etat africains étaient égoïstes et cherchaient toujours à le mettre en mal avec la France»
«En 2013 au Tchad, en tant que président du Forum de la renaissance africaine, on avait attribué à Idriss Déby le 2e ‘’Prix Fora’’ pour le leadership en Afrique. Le Président Abdoulaye Wade a reçu le 1er Prix. Quand on lui a remis le Prix en 2013, au moment où les gens étaient allés prendre le cocktail lors de la cérémonie, Déby était resté seul avec moi. Il m’a dit : ‘’Souleymane, il faut rester au Tchad travailler avec moi.’’ Je l’avais taquiné en lui disant : ‘’Dakar ne sera pas content si je reste à N’Djaména.’’ Il m’a rétorqué : ‘’ Dakar et N’Djaména, c’est la même chose. C’est le panafricanisme non?’’ Déby m’a aussi dit :’’Tu ne peux pas imaginer combien mes homologues chefs d’Etat africains sont égoïstes. Ils cherchent toujours à me mettre en mal avec les différents chefs d’Etat français par jalousie.’’ Ce qui, dit-il, lui a trop fait mal. Déby m’a fait savoir que ce qui lui faisait mal aussi, c’est le manque de solidarité au niveau de l’Union africaine. J’ai trouvé Déby très sincère. Il m’a dit : ‘’ Vous avez un beau pays, le Sénégal. Vous avez une ouverture sur la mer. J’aurai voulu y aller en vacances, mais je ne peux pas. Je quitte le Tchad pendant une semaine, tu verras la pagaille qu’il y aura. Les populations vont se faire la guerre’’. Il faut une main forte pour stabiliser le Tchad. Ce que Déby est arrivé à faire, malgré des relents de rébellion. L’Afrique a perdu un grand stabilisateur. Déby a été un bon ‘’dictateur’’.»
CHEIKH YERIM SECK, JOURNALISTE : «Idriss Deby m’avait dit : je ne connais pas la peur… »
«Un jour de 2009, alors que j’interviewais Idriss Déby pour le compte de Jeune Afrique, sous les ors, lambris et dorures de son palais, à N’Djamena, il m’avait dit, en réponse à ma dernière question : « Je ne connais pas la peur, protéger mon pays m’apporte sérénité et calme aux moments les plus critiques. Et puis, je ne suis pas quelqu’un qu’on attrape. Je ne suis pas fait pour cela. On dira peut-être un jour qu’Idriss est mort sur le champ de bataille. Mais on ne dira jamais qu’il a été capturé ou qu’il a été fait prisonnier. Mon honneur de Général de l’Armée du Tchad me l’interdit. » Sa mort au combat, suite à des blessures subies au front face aux combattants du Fact, honore sa parole. Je n’en saisis que davantage ce qu’il m’avait dit off the record. «Le Tchad est une terre de guerriers. Il y a ici des règles non écrites qui imposent à chaque homme, lorsqu’il est défié, de tuer son adversaire ou de mourir. Dans ce pays, le sens de l’honneur veut que seules les femmes restent à la maison lorsqu’arrive le temps de combattre. Voilà pourquoi je suis à la tête de mes troupes chaque fois que je suis attaqué. C’est cela notre philosophie de la guerre qui échappe à ceux qui ne comprennent pas qu’un chef d’Etat dirige en personne les troupes sur le champ de bataille.» Sans jamais le lui avoir dit pour ne pas paraître flagorneur, j’ai toujours admiré son courage physique et son franc-parler…»