Lamine Guèye, Delafosse, Blaise Diagne, Charles de Gaulle, Demba Diop, Abdoulaye Sadji… Baptisés aux noms d’illustres personnalités, les lycées historiques du Sénégal se meurent, sans entretien, faute de moyens.
Des moutons qui paissent en toute liberté, du linge étalé au fond, une dame de retour de la boutique, tenant un bidon d’huile, deux vieux qui ramassent les ordures avant de les brûler. On n’est pas dans un HLM.
Malgré ce décor qui sied plus à une maison de bas quartier, on est bien à « Blaise Diagne », un des plus anciens lycées de Dakar. Le Lycée Blaise Diagne est De collège d’orientation à la fin des années 1950, cet établissement scolaire est devenu un lycée au début des années 1960. Aujourd’hui, il est dans un piteux état.
Ce samedi-là, Emedia.sn était aux premières loges de la remise des clés du bloc de toilettes pour filles rénové par l’activiste « Niintche » et son équipe de bénévoles. Un geste hautement salué par la direction de l’école. La réfection a été lancée un peu avant la reprise du 25 juin dernier suite à l’arrêt des cours au mois de mars 2020 en raison du coronavirus.
« Nous avions une grosse difficulté au niveau des toilettes, explique Al Ousseynou Diallo, accueillant l’équipe dans son bureau. Je suis là depuis deux ans. La première difficulté que j’avais constatée, c’est qu’il n’y a pas de commodités. L’absence de commodités pour un établissement qui fonctionne en journées continues était un frein réel. J’avais écrit à beaucoup de fondations et de mécènes. Malheureusement, il n’y a pas eu de retour. Les sociétés, entreprises ou autres ne sont jamais dans l’urgence. Alors que sur le terrain, nous sommes dans l’urgence, nous attendons tout de suite une réaction prompte alors qu’eux, ils ont une procédure. Il faut convoquer des rencontres, partager, convaincre. Malheureusement, au moment où la décision est prise, je ne dis pas que c’est trop tard mais il y a déjà eu beaucoup de dégâts. » Sur les images qu’il fait défiler sur son ordinateur, l’état des toilettes étaient indescriptibles avant.
À ce propos, ajoute le responsable : « L’année qui a suivi, j’ai dit, la blouse pour moi, jusqu’à preuve du contraire, n’est pas un intrant dans les enseignements apprentissages et les résultats scolaires. Au moment où je vous parle, ma conviction est que c’est de l’argent qui est jeté par les fenêtres par rapport aux objectifs. Mieux vaut acheter un photocopieur, faire les toilettes, mettre les salles en condition que d’acheter une tenue, si l’objectif est de faire un enseignement apprentissage de qualité, et avoir des résultats. Ces montants ont été mobilisés pour nous aider à atteindre les objectifs. Ici, par exemple, nous vendons la tenue à 2 500 F CFA, d’autres à 15 000 F CFA. 15 000 multiplie par 700 ou 800 élèves, si la communauté était d’accord, ce montant aurait pu servir à nous mettre dans de meilleures conditions de travail. Nous demandons des aides alors que si nous faisons un bon arbitrage, nous pouvons en principe régler beaucoup de choses. J’ai supprimé purement et simplement la tenue pour refaire les toilettes. L’aide ne venant pas de l’extérieur, nous ne pouvions pas continuer à attendre. Il y a eu des grincements de dents mais à des moments bien déterminés, il faut décider. »
Evolution des résultats après la réfection des toilettes
« Dès qu’on a éliminé l’internat, il y a eu des modifications. On en a fait des salles de classe mais il n’y avait pas d’aération. Professeurs et élèves étaient dans des conditions extrêmes de travail. Quand on est en comité aussi, on négocie. Quand je me suis rendu compte que je ne pouvais pas continuer à supprimer la tenue, j’ai essayé de faire d’autres arbitrages et nous avons repris les modifications et mis dans chaque salle deux brasseurs d’air (plafonniers). La salle des profs était dans un état d’inconfort extrême, là aussi nous avons repris. »
S’agissant des résultats, il soutient qu’en 2017, les résultats au BFEM, c’était 17% mais les filles étaient à 14%. En 2018, il y a 19% sur un taux total de réussite de 25%. C’est l’année qui a précédé notre arrivée. En 2019, 26% de filles, sur un général de 39%. Je me suis dit ’’faisons les toilettes, et voyons ce que cela peut avoir comme incidence.’’ Et nous avons réalisé les toilettes, et l’année qui a suivi, c’est-à-dire en 2020, les filles passent à 38%. Nous sommes bien fondés de dire que l’amélioration des conditions de séjour à impacter sur leurs résultats. »
Des résultats réalisés avec le bloc existant que l’école a pu réaliser. L’impact des nouvelles rénovations sera perceptible l’année prochaine, en 2021. Car ces toilettes ne sont pas encore fonctionnelles. Face aux bénévoles, le Directeur a soulevé un autre écueil relatif aux conditions des élèves-filles. Pour qui, l’établissement est dans du dépannage, remettant à la fille une serviette pour la première journée des règles. Car « il y en a qui sont dans des conditions telles qu’elles ne peuvent pas acheter des serviettes hygiéniques. Nous sommes dans une zone qui s’est paupérisée. Ouagou Niayes, Grand-Dakar, ce n’est plus comme dans le temps. Même les zones A et B, les gens ont déménagé.
Au Cem El Hadji Malick Sy, sis en face de la Grande Mosquée, 80% des élèves sont d’origine guinéenne. Maintenant, les zones qui nous envoient leurs enfants, c’est Fass, Colobane. Très peu d’élèves viennent de la zone B. Tous ceux qui ont un minimum de moyens n’inscrivent plus leurs enfants dans le public. Ils fréquentent le privé. C’est une réalité sociologique. »
Ainsi, l’école pour s’adapter au pouvoir d’achat, a fixé les frais d’inscription de 12 000 F CFA, l’année, la tenue compris. Au CEM Mathurin, ils sont à 27 000 F CFA. Au lycée Kennedy, 26 000 contre 38 000 F CFA, l’année dernière.
« L’entreprise est venue commencer les réfections, enlever les portes des toilettes, ils sont repartis et ne sont pas revenus. Faute de crédits… »
L’association des anciens internes, qui sont devenus de grosses pointures de la République aujourd’hui, a bâti un mémorial à l’entrée, en perpétuation du souvenir de leurs camarades disparus.
La bâtisse a l’intérêt d’enjoliver le décor car avant il n’y avait rien sur cet espace, relève Diallo. En effet, autour de la construction, des arbres, entretenus par un jardinier, poussent. Un flamboyant est même prévu. Ce qui impactera à coup sûr sur le cadre de vie.
Moustapha Faye est un ancien Proviseur du lycée mixte Maurice Delafosse. En 1947, l’établissement était d’abord le collège de commerce et d’industrie. Puis, en 1955, il y a eu une fusion vers le lycée Technique Maurice Delafosse avec quinze hectares, 1500 élèves, 120 professeurs, cinq amphithéâtres, six labos, treize ateliers, bâtiments administratifs, et des villas, faisant une fois et demie l’île de Gorée. Ensuite, en 1982, il y a eu la massification. Actuellement, c’est six écoles dont trois Lycées et trois centres de formation.
« Depuis ces années-là, il n’y a pas eu de rénovation en dehors d’un mur ou d’autres constructions à l’intérieur. Il n’y a presque pas de rénovation. C’est vieillissant », rembobine Faye.
Pour cet enseignant passé par plusieurs lycées du Sénégal, il y a urgence : « Il y a quelques années, l’État avait annoncé une rénovation des lycées de Dakar, cela concernait Lamine Gueye (ex Van Vollenhoven), qui est plus ancien que les autres, Kennedy, Ngalandou Diouf, Delafosse. Tous ces établissements devaient être rénovés. On a commencé. Quand j’y étais (au Lycée Delafosse) il y a deux ans, l’entreprise est venue commencer les réfections, enlever les portes des toilettes, ils sont repartis et ne sont pas revenus. Faute de crédits. L’entrepreneur avait dit que les crédits inscrits sur ce volet rénovation ont été transférés ailleurs. Donc, on laisse véritablement, le lycée dans un état indescriptible. »
RISQUES RÉELS
Une situation pleine de risques, relève-t-il, alarmiste. « il y a souvent des vols répétés parce que portes et fenêtres ne ferment pas. Les toilettes des élèves sont fréquentées par d’autres personnes qui fréquentent l’espace du Lycée, et les terrains de jeu. Donc, il y a des risques énormes. Il y a l’insécurité. Je me souviens les élèves étaient venus faire l’examen, ils étaient assis sur des bancs vétustes, et un s’est blessé au pied parce que le banc a cédé. »
La sentence tombe tel un couperet : « Il faut rénover. C’est vrai que les constructions de ces années-là sont très solides mais (Delafosse) a besoin d’être rajeuni, d’un entretien pour l’épanouissement de nos enfants. C’est vrai que dès fois les anciens réfectionnent les toilettes mais je crois que c’est une opération d’ensemble. Vers les années 1992, sous Abdou Diouf, l’État avait entrepris une opération de restauration des établissements scolaires au Sénégal. Ores, confié à l’Armée nationale. Je crois qu’il nous faut une opération de cette envergure-là, de restauration ou de réhabilitation de ces établissements-là qui sont les plus fonctionnels avec de grands espaces, des terrains de jeu multifonctionnels, je crois qu’on a besoin de ça. »
« En 1980, il y avait 50% de scientifiques et de littéraire. Maintenant, c’est un peu moins que 30% de scientifiques. Est-ce que cette baisse n’est pas liée à cette chute en équipements nécessaires à l’enseignement des sciences ? »
Dans son argumentaire, Faye met en avant un « patrimoine » à préserver coûte que coûte. Par ailleurs, il insiste également sur les terrains de sport. « Ce n’est pas un hasard si beaucoup de gloires du football ou du basket sénégalais sont sortis de Delafosse, de Charles De Gaulle ou de Kennedy. Donc, c’est un patrimoine qu’il faut rénover pour l’épanouissement des enfants, pour les enseignements en éducation physique et sportive, mais aussi pour toute la population environnante de ces lycées-là, pour la pratique du Sport. »
Et, les superlatifs ne sont pas de trop pour lui, quand il raconte, ému, son passage en tant qu’ancien élève du Lycée Charles De Gaulle de Saint-Louis. « On avait trouvé un très très beau lycée. J’ai fait la série littéraire. J’avais un cousin qui était dans les séries scientifiques mais quand je les voyais dans leur laboratoire avec leurs microscopes, j’avais envie de les rejoindre faire la série D, l’actuelle série S. Je me rappelle qu’en 1980, il y avait 50% de scientifiques et de littéraire. Maintenant, c’est un peu moins que 30% de scientifiques. Est-ce que cette baisse n’est pas liée à cette chute en équipements nécessaire à l’enseignement des sciences ? » La réflexion est ouverte…