Son nom est à jamais associé au croissant lunaire au point que sa seule évocation fait penser automatiquement au mois béni du Ramadan. A quelques heures du début du jeûne, l’image de Mourchid Iyane Thiam ressurgit dans les souvenirs des Sénégalais qui ont longtemps porté une attention particulière à ses sorties. Comme une lune qui s’éclipse, mais ne disparait jamais, le patriarche a laissé à la postérité des souvenirs dignes d’être évoqués. Si sa vie construite au sein de la Commission nationale de croissant lunaire (CONACOC) fait presque ombre à sa facette de professeur et diplomate, c’est justement parce que l’homme avait préféré la dédier au croissant lunaire afin de permettre à la communauté musulmane de jeûner et de fêter les cérémonies dans l’union. Ahmad Iyane Thiam, c’est un quart de siècle d’observation du croissant lunaire, rythmé parfois par des critiques, qui n’auront réussi qu’à renforcer sa foi d’être sur la voie indiquée.
Une vie au service de l’islam, et un vécu autour des idéaux de solidarité, partage, entente et médiation. Voilà en deux mots ce que nous a offert le très regretté Mourchid Iyane Thiam. Plus que ses origines ou son érudition, l’homme s’est immortalisé dans la mémoire des Sénégalais de par ses actes et son attachement indéfectible à la croissance lunaire. Né en 1937, Iyane Thiam a reçu une formation islamique solide au Sénégal et dans les pays arabes. Il mémorise le coran à l’âge de 10 ans avant de s’en aller à Kaolack pour apprendre les sciences islamiques auprès de Mame Khalifa Niasse avant l’étape de Saint-Louis où il séjourna auprès de son homonyme.
Un grand commis de l’Etat qui a occupé des postes de responsabilité intéressants
Cette éducation de base assimilée, Ahmad Iyane Thiam, à l’instar des arabisants de son époque, décide de continuer ses études au Maroc où il obtiendra un brevet en Arabe à l’institut Al-Azar de Casablanca (en 1961) et un baccalauréat en 1964 au Lycée Maghreb Arabe de Rabat avec la maîtrise parfaite de la langue arabe. Poursuivant son ambition, il intègre l’université Mouhamed V et devient le premier Sénégalais à y étudier. Son cursus sera sanctionné par une licence en sciences juridiques et politiques. Plus tard en 1970, il décroche son diplôme de maîtrise en sciences politiques à l’Université de Bruxelles
Son statut de meneur de grèves, en tant que président de l’amicale des étudiants sénégalais de Maroc, va précipiter son rapatriement en 1970 par le ministère des affaires étrangères sous la demande du président Senghor. De retour au bercail, Mourchid Iyane Thiam sera nommé, par décret présidentiel, Professeur d’arabe au lycée Faidherbe de Saint-Louis. En vérité, beaucoup ignorent le vécu de Mourchid Iyane Thiam, et ne retiennent que « l’homme de la lune ». En d’autres termes, le premier à qui on demandera de parler de l’homme, n’en dira pas d’avantage qu’il fut le porte-parole de la Commission nationale de concertation du croissant lunaire.
Pourtant Ahmed Iyane Thiam est avant tout un grand fonctionnaire de l’Etat du Sénégal. Après ses études au Maroc où il a été le premier Sénégalais à intégrer , fort de maitrise de ladite langue, l’homme sera porté à des postes de responsabilité intéressants. Il occupera le poste de conseiller technique chargé de l’enseignement arabe au ministère de l’enseignement supérieur, entre 1973 et 1980. Il profitera de cette position pour obtenir la création d’une section arabe à l’Ecole normale supérieure et aura beaucoup fait pour la reconnaissance et la revalorisation des arabisants diplômés. Après avoir intégré l’Enam, de 1978 à 1980, Iyane Thiam a été responsable du du département Amérique-Asie du ministre des Affaires étrangères.
Un fédérateur et homme de consensus
La concertation au cœur, Mourchid Iyane Thiam endosse, avec des collaborateurs au sein de la CONACOC, la difficile mission d’être les yeux du monde musulman. Seule l’abnégation et la satisfaction d’un service rendu à l’islam leur auront permis de continuer de scruter la lune malgré les critiques qui fusaient de partout à leur endroit. Le défunt porte-parole de la commission avait compris que son rôle de fédérateur- il fut surtout conseiller du médiateur de la république de 1991 à 1992- l’obligeait à faire montre de patience, d’ouverture et de compréhension face aux détracteurs. C’est pourquoi, à l’annonce de sa mort le 29 janvier dernier, le président Macky Sall saluait « un homme de dialogue et de concertation ».
Son vécu d’observateur du croissant lunaire, qui a débuté depuis 1996, avec la bénédiction des différents Khalifes généraux de ce pays, va placer Ahmed Iyane Thiam dans le cœur et l’esprit des Sénégalais. Néanmoins, comme toute œuvre humaine, la sienne ne fera pas l’unanimité et l’homme en était pleinement conscient. Il y a deux ans, le patriarche répondait à ces détracteurs en ces termes: «Aucune critique ne peut me décourager. Chacun peut dire ce qu’il pense de la Commission nationale de concertation sur le croissant lunaire. Mais moi, en tant patriarche, je n’ai pas le temps de polémiquer. Depuis 1996, tous les chefs religieux sont avec nous et cela nous encourage».
Intransigeant sur les principes
Visage toujours rayonnant, barbe blanchie par le poids de l’âge et très bien entretenue, Mourchid Iyane Thiam apparaissait toujours à la veille de chaque début et fin de Ramadan, même si son travail et celui de la commission qu’il dirigeait s’inscrivait dans la permanence. Très attendue, sa voix aigue retentissait, au micro de la RTS, pour signaler le début ou la fin du mois béni de Ramadan. Rassemblant des représentants de toutes les familles religieuses du pays, la communication de la CONACOC faisait office de décret auquel obéissaient et continuent d’obéir la majorité des Sénégalais.
Malgré la naissance de commissions parallèles, le crédit accordé à la CONACOC est resté intact sous le magistère d’Ahmed Iyane Thiam. Les critiques et autres attaques, parfois ad hominem, n’entameront en rien la volonté affichée des musulmans du Sénégal d’agir dans la concorde, conformément à l’injonction du Seigneur et de Son prophète (PSL). Malgré son appartenance à la famille omarienne, il n’était pas rare de voir le porte-parole de la commission de concertation sur le croissant lunaire annoncer le début ou la fin du jeûne, alors que celle-ci avait retenu d’autres dates. Cela prouve à suffisance que le vénéré Iyane Thiam, au-delà d’être homme de consensus, pensait global et faisait abstraction particularités. Tous ses actes, notamment les décisions relatives au croissant lunaire, se justifiaient à travers des hadiths prophétiques authentiques.
Une lune qui s’éclipse
Après un quart de siècle dédié à l’observation du croissant lunaire, Mourchi Iyane Thiam tire sa révérence à l’âge de 84 ans. Sa vie d’homme de Dieu et son vécu de serviteur des la Oumma islamique du Sénégal resteront gravés dans la mémoire collective. Magnanime et longanime, Ahmad Iyane Thiam l’était au point de tolérer toutes les critiques, fussent-elles infondées. Avant son éclipse, la lune décroissante avait reçu, en reconnaissance de ses services rendus au peuple et à la communauté islamique, sera distinguée plusieurs fois. Il recevra des mains du président Abdou Diouf les distinctions de l’Ordre national du Mérite en 1990 et Ordre national du Lion en 1998.