Théâtre sur scène ! C’est redondant, on le sait. Mais que dire dans un pays où beaucoup confondent théâtre et téléfilm. Même certains de ceux qui se revendiquent comédiens n’ont aucune expérience de la scène. Pour voir de vrais comédiens, allez à Sorano. La troupe nationale dramatique reste, quoiqu’on puisse dire, la vitrine du théâtre Sénégal, à côté de compagnies privées très productives comme ‘’Kaddu Yarax’’, ‘’Fotti’’ ou encore ‘’Les espoirs de la Banlieue’’ qui s’illustrent dans un autre registre (théâtre forum). A l’occasion de la journée internationale du théâtre célébrée ce jour, EnQuête est allé à la découverte de la troupe dramatique nationale.
Nul n’entre ici, s’il n’est sorti de l’école nationale des Arts ! Comme Platon avec son académie à Athènes, l’autorité pourrait décider d’inscrire cela devant la porte de la salle de répétition de la Troupe dramatique nationale de la Compagnie du théâtre national Daniel Sorano. Tous les comédiens qui y sont encore en service sont sortis de l’Ena. ‘’Depuis 1966, date à laquelle a été créée la Troupe dramatique nationale (en prélude du premier festival mondial des Arts nègres), les comédiens engagés ici sont formés à l’Ecole nationale des Arts. Cette dernière constitue l’antichambre de la Troupe nationale dramatique. On a eu dans le temps à intégrer des comédiens qui n’y ont pas été formés, mais quand même la doctrine reste ‘’être sorti de l’ENA’’, dit d’ailleurs sur un ton fier le tout nouveau directeur de la Troupe, Sekou Lô. Un caractère élitiste ! Il le faut bien semble dire M. Lô.
‘’Nous sommes l’équipe nationale de théâtre’’, n’a-t-il eu de cesse à répéter pendant un entretien avec EnQuête. Donc, la vitrine du théâtre sénégalais. Il est normal qu’ici se regroupent les meilleurs. D’ailleurs, affirme l’une des comédiennes, Yacine Félane Diouf, tout étudiant en théâtre à l’Ena rêve de se voir recruter, après ses 4 ans de formation, à Sorano. ‘’A Sorano, on est sûr de vivre sa passion, d’être sur scène’’, a souri une autre comédienne de la troupe, Adjara Babou.
Seulement, y entrer n’est pas si facile que cela. Il y a huit comédiens qui y officient actuellement et aucun d’entre eux n’y a été pris juste après sa formation. Ils sont presque tous passés par des compagnies privées. Mais tous nourrissaient le rêve de finir sur les planches de l’illustre théâtre, parce qu’ici, non seulement, on est en contact avec la crème, mais y travailler offre une certaine sécurité au comédien. Il est payé tous les mois, bon an, mal an, et a des avantages sociaux.
Cependant, la section art dramatique de l’école nationale des Arts est restée fermée, pendant très longtemps. Elle a été ouverte dernièrement, mais c’est à se demander comment Sorano fait pour renouveler son effectif. ‘’Il est vrai qu’on est resté pendant plus de dix ans sans formation de comédien à l’Ena et la Troupe dramatique en a souffert. Aujourd’hui, on a besoin d’une relève, car il y a des comédiens qui vont partir à la retraite, d’ici 5 ans. On a besoin de sang neuf, pour booster la production. Faudrait-il aller prendre des comédiens former sur le tas ? Je suis en train d’y réfléchir’’, informe M. Lô.
Ainsi, il faut trouver des voies et moyens pour faire revivre cette troupe. Il ne suffira pas d’avoir que du sang neuf. Il faut bien plus.
En effet, l’on oublie de plus en plus Sorano. Mais, il est encore là avec ses différentes troupes. Celle dramatique tente, depuis quelques années, un retour en force qui n’a pu encore se faire ressentir. Pourtant, elle dit continuer à créer. Il est alors légitime de se demander quel est le problème ? ‘’Le manque de moyens’’, répond sans ambages le tout nouveau directeur de la troupe dramatique, Sekou Lô. ‘’Quand on produit, c’est pour après montrer notre travail. On souhaiterait aller dans tout le Sénégal. Pour nous, il est bien que les Dakarois voient nos productions, mais les Matamois ont également ce droit. On est une troupe nationale’’, rappelle-t-il.
Il y a un peu plus d’un an, était annoncée une tournée nationale de la Troupe qui devait montrer une de ses créations dans toutes les régions du Sénégal. Ce qui n’a jamais pu se faire. ‘’On a un nouveau directeur. Il nous demandé de lui présenter une feuille de route, on y travaille. On espère qu’il trouvera les moyens nécessaires pour nous donner plus de visibilité’’, déclare Sekou Lô. Enfin, le mot est lâché. Le plus grand problème ici est le manque de visibilité et un certain mythe développé autour du lieu. Dès qu’on parle de théâtre et de Sorano, beaucoup pensent aux pièces classiques : Lat-Dior, NDer en flammes, etc. ‘’C’est notre histoire et nous nous devons de la montrer’’, a défendu Yacine Félane Diouf.
‘’Ces pièces, nous ne les présentons qu’à des dates phares. Notre offre est plus variée que cela. On a monté une pièce en collaboration avec l’ambassade d’Italie, ‘la danse de parité’ ’’, ajoute Adjara Fall. Pour ceux qui pensent que c’est la même chose qui est servie à chaque fois avec les classiques, le comédien Roger Sambou rétorque ‘’impossible’’. ‘’A chaque metteur en scène sa touche. Il est impossible de jouer, à deux générations près, une pièce de la même manière’’, confie-t-il.
Le nouveau directeur, Sekou Lô, voit plus large. Il trouve qu’il est bien de jouer encore les classiques, mais rien n’empêche de s’ouvrir aux aspirations d’un nouveau public. Dans ce cadre, on est en train de voir comment faire un metteur en scène de l’étranger et échanger avec lui. On pourrait voir comment faire pour capter le public jeune et varier notre offre’’, avance-t-il. Adjara rassure, ils sont déjà sur la voie : ‘’nous produisons des pièces modernes, mais comme on dit, on manque de visibilité, parce que nous les jouons ici, mais le public ne répond pas’’.
‘’Il y a à peine deux ans, nous avons fait 90 représentations en France’’
Une autre des comédiennes, Ndèye Fatou Cissé, qui est à Sorano depuis un bout de temps confirme qu’il y a bien une évolution qualitative dans l’offre. Mieux, elle pense qu’au-delà, tous les pensionnaires ont pu se parfaire, pendant les années passées dans ce que l’on peut considérer comme un temple du théâtre. ‘’Il y a à peine deux ans, nous avons fait 90 représentations en France de notre pièce ‘’Le chemin des tirailleurs’’. Il y a des metteurs en scène qui viennent de l’étranger pour voir notre travail et puiser chez nous’’, s’enorgueillit-elle.
La génération 80 se remémore les prestations dans la cour de l’école, les mercredis après-midi, avec des compagnies privées. Ce qui n’existe quasiment plus. Même les pensionnaires des troupes du théâtre populaire semblent plus se préparer pour la télé que pour la scène. C’est alors à se demander si le théâtre fait toujours rêver. Selon Ndèye Fatou Cissé, oui. ‘’Je vois beaucoup de jeunes intéressés par le théâtre et qui ont du talent. Malheureusement, ils sont pressés. Quand on leur dit qu’il faut qu’ils aillent se faire former, ils nous disent que 4 ans, c’est trop long. Ils ont du talent, mais on décèle facilement leurs insuffisances, quand ils sont sur scène. Ils n’ont pas la patience d’aller apprendre’’, regrette-t-elle.
Quel avenir alors pour le théâtre ? ‘’Tout le monde n’est pas obligé de passer par la formation académique, mais le manque de formation m’inquiète un peu. Il y a des choses à faire, mais, cela se fera progressivement’’, analyse Bounama Bassène.
Aujourd’hui au Sénégal, il faut reconnaître que les séries et téléfilms ont gagné du marché et conquis le cœur des Sénégalais. Beaucoup de jeunes se voient plus à la télé que sur des planches. ‘’Ce sont les fantasmes de la célébrité’’, analyse M. Lô.
3 QUESTIONS AU DG DE SORANO, ABDOULAYE KOUNDOUL
‘’Mes projets pour la Troupe dramatique…’’
En tant que nouveau directeur de la Compagnie nationale du théâtre sénégalais, quels sont vos projets pour la Troupe nationale dramatique ?
Je voudrais d’abord faire l’état des lieux. J’ai trouvé une troupe avec un nombre de comédiens assez réduits (8). Pis, ils étaient appelés à faire d’autres tâches administratives. J’ai trouvé que je ne pouvais pas m’appuyer sur une troupe ainsi décrite pour pouvoir relancer le Théâtre. L’appellation de Sorano se réfère plus au théâtre qu’à l’ensemble lyrique ou au ballet. Donc, la Troupe dramatique doit être le fer de lance du Théâtre.
On comprend, dès lors aisément, pourquoi Sorano a connu des moments sombres, des moments difficiles par rapport à l’image prestigieuse qu’on se faisait. J’ai réuni la Troupe, quand je suis arrivé pour leur rappeler leur mission et surtout leur dire combien je comptais sur eux pour relancer l’institution. Ces comédiens ont été formés à la bonne école et ont été les meilleurs de leur promotion. On voit ces comédiens cartonnés à l’écran, à travers les séries télévisées. On ne peut pas douter de leur talent, leurs compétences. Il faut juste réunir les conditions pour voir ce talent éclore sur les planches de Sorano.
Le travail a repris. Les tâches administratives auxquelles ils se consacraient, allégées. Je leur ai demandé de se concentrer à 100% à ce travail qu’ils sont les seuls à savoir faire. Le travail administratif d’autres peuvent le faire. Les répétitions ont repris pour la pièce ‘’Adja, la militante’’ et pour une création collective des comédiens intitulée ‘’Mbedum Burr’’.
Actuellement, on est en train de préparer un extrait de la pièce d’Aline Sitoé Diatta que nous allons présenter le 4 avril, à l’occasion d’un spectacle fusion. Autant dire que la Troupe est sur les rails. Immanquablement, elle nous vaudra encore beaucoup de satisfaction dans les jours, mois à venir. Par ailleurs, une troupe réduite à 8 personnes ne peut pas donner au TND toute la dimension qu’elle avait dans un passé récent. Cela veut dire qu’il y a nécessité de redynamiser les effectifs, de recruter davantage, de prendre d’autres jeunes. Les choses ont évolué et il y a des jeunes qui sont sur la place et qui mériteraient d’être sur les planches de Sorano. Nous pensons étendre la Troupe à 15 ou 16.
La troupe dit aujourd’hui manquer de visibilité. Qu’est-ce que la nouvelle direction prévoit pour plus de promotion, de publicité?
Il y a un préalable à cela. Il faudrait s’assurer que ce que nous voulons montrer rencontre l’adhésion du public. C’est à partir de ce moment que nous pouvons communiquer et demander au public de venir voir. Mais, si le public vient et se rend compte que ce que nous leur présentons ne correspond pas à un besoin qu’ils ont exprimé, c’est un problème. L’urgence donc pour nous est de décrypter le besoin émis par le public et essayer d’y répondre, en termes d’offre artistique, culturelle. Ce ne sont pas des pièces classiques où on déclame des choses qui vont intéresser les gens. Le problème du théâtre, aujourd’hui, c’est cette dualité entre le théâtre pur, classique et ce théâtre qui a connu du succès à travers les séries télévisées. Nous devons réfléchir à établir une passerelle entre les deux. Il ne s’agit pas de rester dans son camps et dire que ceux qu’ils ne font pas ce n’est pas du théâtre. Même si ce n’est pas du théâtre, çà rencontre l’adhésion du public.
Vous êtes ancien directeur des Arts et directeur général de Sorano, quel est votre message pour les comédiens en cette journée internationale du théâtre ?
J’ai un message de solidarité. Le secteur souffre vraiment de par son émiettement. On n’arrive pas à faire des choses pour les comédiens. On n’arrive pas à les organiser. J’ai eu cette difficulté en étant directeur des Arts et j’ai vu que l’actuelle directrice a le même problème. Je les appelle à s’unir, à se rassembler et se définir un seul objectif et faire l’effort de l’atteindre. Le sous-secteur de la musique est bien plus vaste, mais on arrive à les rassembler et leur parler. On arrive à le faire avec la danse et même aller plus loin en ayant un plan d’action. Mais, on n’arrive pas à le faire avec le théâtre. Cela signifie qu’il y a un travail à faire, une introspection à leur niveau. Même pour la gestion du Fonds Covid-19, il a fallu aller vers trois sous-groupes dans un même sous-secteur, pendant que les autres arrivent à s’organiser et se mettre autour de l’essentiel. On ne demande pas aux gens de se confondre sous une même identité. Ils peuvent tous être là, tout en gardant leur identité individuelle.