Après les atermoiements du début de la crise, la communauté internationale semble de plus en plus décidée à demander des comptes au gouvernement éthiopien pour les actes de violence dans le conflit au Tigré.
Les Etats-Unis condamnent pour la première fois des actes de nettoyage ethnique au Tigré, en Ethiopie. Lors d’une audition devant le Congrès, mercredi 10 mars, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a demandé aux forces sur place de « s’abstenir de […] commettre des actes de nettoyage ethnique comme nous en avons constaté dans le Tigré occidental ».
« Nous avons, comme vous le savez, des forces de l’Erythrée là-bas, et nous avons des forces d’une région [éthiopienne, Ndlr] adjacente, Amhara, qui sont là. Elles doivent quitter les lieux », a-t-il martelé.
Fin février, un rapport interne du gouvernement américain, obtenu par le New York Times avait affirmé que « les autorités éthiopiennes et les milices alliées mènent une campagne systématique de nettoyage ethnique dans le Tigré, la région du nord de l’Ethiopie déchirée par la guerre ».
Sur la foi de ce rapport, Antony Blinken avait déjà demandé, la semaine dernière, au Premier ministre Abiy Ahmed d’autoriser une enquête internationale. Il avait alors évoqué « des informations crédibles faisant état de violations de droits humains et d’atrocités en cours ».
Ces révélations du chef de la diplomatie américaine interviennent quelques heures après que le chef de mission adjoint à l’ambassade d’Ethiopie à Washington Berhane Kidanemariam, a démissionné de son poste « pour protester contre la guerre génocidaire au Tigré et pour protester contre toute la répression et la destruction que le gouvernement inflige au reste de l’Ethiopie ».
« Certains des événements les plus inquiétants du mandat d’Abiy ont été les assassinats de personnalités politiques et civiques majeures. Il s’agit notamment de l’assassinat de Simegnew Bekele, le chef de projet passionné du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne ; du meurtre du chef d’état-major de l’armée éthiopienne, le général Se’are Mekonnen, et de son ami, le général Gezae Aberra ; de l’assassinat du Dr. Ambachew Mekonnen et d’autres dirigeants de la région d’Amhara ; et l’assassinat du chanteur populaire oromo Hachalu Hundessa […] », a-t-il révélé dans un communiqué publié sur le site medium.com, noircissant un peu plus la personnalité désormais controversée d’Abiy Ahmed.
La démission de ce diplomate de haut rang devrait davantage accroître les pressions intérieures sur le prix Nobel de la paix 2019, déjà confronté depuis la semaine dernière à une pression de plus en plus accrue de la communauté internationale.
Après le blackout et les timides appels à la mesure et aux négociations, qui n’ont pu empêcher la guerre fratricide menée dans l’intimité des montagnes tigréennes, « le conflit qui a été écarté du reste du monde », selon le président rwandais Paul Kagamé, resurgit avec force dans le débat international.
Jeudi dernier, la responsable des droits de l’homme des Nations unies, Michelle Bachelet, a réclamé une enquête internationale sur des « violations qui pourraient s’apparenter à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ». Cette initiative ne pourra toutefois se dérouler dans le cadre d’un mandat onusien. Moscou et Pékin se sont déjà opposées à l’adoption d’une déclaration commune de l’Onu visant à mettre fin à ce conflit qui « relève d’une affaire intérieure », selon les deux nations.
Dans ce concert de voix occidentales, la diplomatique africaine, dont la capitale est Addis-Abeba (Ethiopie), se fait discrète. Si la question du Tigré n’était pas à l’ordre du jour du dernier sommet de l’Union africaine, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a toutefois rencontré, ce jeudi 11 mars, le chef de la diplomatie éthiopienne pour discuter de la mise en place d’un cadre d’enquête sur les « violations présumées des droits humains dans le Tigray ». Le principe de cette enquête a été proposé par Abiy Ahmed au cours d’une réunion du Conseil de sécurité et de paix de l’UA, mardi dernier.
Pendant ce temps, les organisations humanitaires affirment qu’un nombre croissant de Tigréens sont confrontés à la famine. La violence des combats a poussé une grande partie de cette population essentiellement agricole à fuir leurs maisons, ne dépendant plus que de l’aide alimentaire pour leur sustentation.
Pour rappel, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, après des mois de tensions, a déclenché début novembre des opérations militaires contre le parti alors au pouvoir dans la région du Tigré, le Front populaire de libération du Tigré (TPLF), l’accusant d’avoir attaqué des bases de l’armée fédérale.
Stéphane Alidjinou