En matière de sûreté et de sécurité, l’Etat ne lésine pas sur les moyens. Et depuis l’éclatement de l’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr, qui a déclenché une série de manifestations dans le pays, les «écoutes téléphoniques» sont mises en branle par l’Etat sénégalais pour espionner certains citoyens et prendre les devants sur de probables actions de sabotage. L’Observateur a donné la parole à d’anciens commissaires de police, chargés de veiller à la sécurité et la sûreté de l’Etat.
En matière de sûreté et de sécurité, l’Etat ne lésine pas sur les moyens. Et depuis l’éclatement de l’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr, qui a déclenché une série de manifestations dans le pays, les «écoutes téléphoniques» sont mises en branle par l’Etat sénégalais pour espionner certains citoyens et prendre les devants sur de probables actions de sabotage. L’Observateur a donné la parole à d’anciens commissaires de police, chargés de veiller à la sécurité et la sûreté de l’Etat.
Expérimentée durant la Guerre froide par les troupes invisibles du FBI, de la CIA et du KGB, agences d’intelligence américaine et soviétique aux ordres de leurs dirigeants politiques, le «flicage» fait rage au Sénégal. Le premier à le dénoncer est le leader politique Ousmane Sonko dans sa déclaration de la veille de sa convocation au tribunal de Dakar par le juge du 8e cabinet d’instruction, Mamadou Seck, qui s’est par la suite désisté…du dossier de viols présumés et de menaces de mort. «Ce qui s’est passé à mon domicile, le jeudi passé, est inadmissible. On déploie les moyens les plus sophistiqués de l’Etat pour espionner un adversaire politique. Je maintiens mes accusations contre la Police nationale. Et on en a les preuves, ils le savent. Parce qu’on a les enregistrements, les vidéos et tout ce qui a été filmé ici. Que cette Police nationale puisse se déplacer pour venir espionner un adversaire politique, mettre ici une fourgonnette qui filme 24 heures sur 24 ce qui se passe dans ma maison, qui intercepte tous les sons émis à partir de cette maison, c’est inadmissible. Et ça, c’est Macky Sall», lâchait le leader de Pastef, aujourd’hui en garde à vue à la Section de recherches de la Gendarmerie de Colobane. «S’il y a un Sénégalais qui pense qu’il peut échapper à ça ou qui n’est pas concerné, c’est qu’il se trompe. Tous les Sénégalais sont en danger. Parce que tous ceux qui diront que je ne réfléchis pas comme Macky Sall, je n’exprime pas les mêmes opinions que lui, sont systématiquement écoutés, traqués, piégés et manipulés pour avoir des ennuis judiciaires. Il faut que chacun et chacune d’entre nous en soit conscient. Même les guides religieux sont espionnés dans ce pays. Que tout le monde le sache. Cela est inadmissible parce que c’est une violation de la Constitution. La propriété privée, les données personnelles, il y a des lois pour ça. Mais Macky Sall n’en a cure», ajoutait-il, dénonçant cette pratique considérée comme celle d’un autre âge.
«Des particuliers, responsables politiques et membres du pouvoir mis sur écoute»
Boubacar Sadio, commissaire divisionnaire à la retraite, ne dit pas le contraire. Mais l’ancien officier de police estime que l’espionnage de l’Etat se limite juste à un tiers. A un opposant. «Au Sénégal, dit-il, beaucoup de gens, des responsables politiques et même des membres du pouvoir sont sur écoute. Il y a même des écoutes entre les services de l’Etat parce qu’il y a un problème de concurrence qui se pose», explique-t-il.
Un avis partagé par le commissaire en retraite Cheikhna Keïta. Mais, selon l’ancien directeur de l’Office central de répression du trafic des stupéfiants (Ocrtis), cela ne se fait pas à l’emporte-pièce. Dans l’application, les «écoutes» sont bien organisées. «L’Etat ne surveille pas tous les citoyens ou ne promène pas des micros un peu partout pour les surveiller. C’est une activité qui est organisée par des gens qui ont de l’expertise dans ce domaine-là et qui font des ciblages, par moments. Ils organisent la collecte d’informations par rapport à la situation que traverse le pays», explique l’ancien commissaire de Police.
Mais pourquoi et dans quelles conditions doit-on mettre sur écoute quelqu’un ? Boubacar Sadio : «Il arrive effectivement à l’Etat de mettre sur écoute certains opposants, des personnalités indépendantes et même des membres du pouvoir. Quelquefois, ils le font pour des raisons de sécurité. Mais parfois, c’est pour espionner carrément pour sélectionner et anticiper sur des actions que les gens peuvent faire. Un citoyen qui ne se doute pas qu’on est en train de l’écouter, peut se lâcher et dire des choses. L’Etat peut donc se saisir de ça pour dire qu’ils sont en train de fomenter un coup, organiser des troubles à l’ordre public et procéder à leur arrestation.»
C’est ce qui a d’ailleurs motivé, selon des sources policières, les arrestations des Guy Marius Sagna, Clédor Sène et Assane Diouf, les lundi 22 et mardi 23 février 2021. Le trio est accusé d’actes «de nature à compromettre la sécurité nationale» et placé sous mandat de dépôt, après la diffusion d’un message audio sur Whatsapp appelant à la mobilisation populaire.
«Il n’y a pas de danger, nous ne sommes pas persécutés par un Etat qui menace nos libertés»
Au Sénégal, la conversation téléphonique comporterait-elle des risques pour le citoyen ? «Non» rétorque, Cheikhna Keïta. Il justifie : «En matière de sûreté et de sécurité, il ne faut pas qu’on prête à l’Etat de ne rien faire, alors qu’il doit savoir parce que gouverner, c’est prévenir. Mais il n’y a pas de danger parce que nous ne sommes pas persécutés par un Etat qui menace nos libertés. Nous avons en face un système qui nous gouverne et qui a besoin de savoir certaines choses et qui se débrouille pour trouver des informations pour structurer ses stratégies». «La Constitution, ajoute-t-il, protège la vie privée des gens. Les Etats ont toujours aménagé un espace qui leur permet d’avoir la liberté d’aller chercher des informations où il veut. Mais la démocratie permet aux particuliers, politiques, défenseurs des droits de l’homme et organisations de la société civile de mener un combat pour que leurs conversations soient protégées». Et parmi les mille et un moyens d’espionnage figure le modèle téléphonique. Cheikhna Keïta : «Parler au téléphone est un environnement que nous partageons tous et dans lequel foisonnent des informations de toutes sortes. Que ce soit sur le plan criminel, politique et subversif, il y a tellement d’informations qui tournent autour, qu’il faut aller les chercher.»
«Anticiper sur les comportements de leurs adversaires»
«Dans tous les pays au monde, les autorités des pouvoirs publiques font ces pratiques-là, mais qui sont attentatoires à la vie privée des citoyens. Tous les Etats fonctionnent de la sorte. Il y a un souci de contrôle des populations par rapport à leurs déplacements et à leurs échanges de propos. Mais souvent, les Etats justifient cela en disant que c’est dans le cadre de la sécurité et qu’ils anticipent d’éventuelles actions contre l’Etat», enchaîne l’ancien commissaire à la retraite, Boubacar Sadio. Cheikhna Keïta de renforcer : «C’est une réalité dans le comportement d’un Etat de chercher à avoir des informations par tous les moyens. Pour cela, il continuera toujours à percer les interdits. Vous le trouverez un peu partout. A chaque fois, les Etats cherchent toujours à avoir des informations dont ils ont besoin et les politiques à utiliser le maximum de moyens pour pouvoir anticiper sur les comportements de leurs adversaires». Toujours selon l’ancien commissaire de Police, «il y a cette nécessité de protéger la vie privée des gens. Mais à côté, il y a ce besoin des politiques et de l’Etat d’avoir des informations et d’aller les chercher partout. C’est ça le sens des renseignements généraux classiques qu’on a connus dans le temps».
Toujours est-il que, selon les deux anciens officiers de police, l’espionnage est un couteau à double tranchant. «Les gens disent qu’il y a des policiers et gendarmes qui ont été arrêtés parce qu’ils fournissent des informations à Ousmane Sonko. Même si cela n’est pas avéré, il y a tellement de possibilités d’infiltrer les dispositifs de l’Etat, d’y pendre des secrets et de les utiliser contre lui. L’Etat est le plus menacé», conclut le commissaire Cheikhna Keïta.
IBRAHIMA KANDE