Le dialogue politique interlibyen tenu à Genève en février, sous l’égide de l’Onu, a donné au pays un cadre favorable pour des élections nationales le 24 décembre et l’avènement de la paix. Mais, des irrégularités dans le processus risquent de tout faire basculer.
En Libye, l’avenir politique d’Abdel Hamid Dbeibah, Premier ministre fraîchement élu, est sur le fil du rasoir. Selon un rapport de l’Onu, dont l’AFP a publié des extraits, dimanche 28 février, le processus de sélection des nouveaux dirigeants libyens, lors des pourparlers de Genève, est entaché de corruption. Ces conclusions viennent confirmer les soupçons de corruption rapportés dès novembre 2020 par des organisations libyennes. L’ancienne émissaire par intérim de l’Onu pour la Libye, Stephanie Williams, avait alors promis de diligenter une enquête.
Ces accusations fragilisent le processus politique libyen chapeauté par l’Onu, mais plus encore le Premier ministre Dbeibah, dont l’élection pourrait être remise en question.
Elu le 5 février, à la surprise générale, face à des poids lourds de la politique libyenne, le chemin vers la primature du milliardaire libyen Abdel Hamid Dbeibah a été en réalité pavé de bakchichs. Au moins trois participants au Forum du dialogue politique libyen (FDPL) ont reçu « des pots-de-vin de 150 000 à 200 000 dollars, en échange d’un engagement à voter pour Dbeibah comme Premier ministre », indique le rapport.
Les enchères seraient montées à 400 000 et 500 000 $ pour acheter le vote de certains participants.
Ces nouvelles révélations tombent au plus mal pour les Libyens qui voyaient s’éloigner le spectre du conflit fratricide alimenté par les parrains russe, égyptien, émirati, turc, etc. La mission déjà ardue d’Abdel Hamid Dbeibah, chargé de lancer un processus de réconciliation nationale et conduire la transition jusqu’aux élections générales du 24 décembre en deviendrait désespérée. En effet, en vertu de l’accord de Genève, le futur gouvernement Dbeibah n’aura les coudées franches pour agir qu’après son adoubement par le Parlement.
Dans cette optique, M. Dbeibah a déjà soumis, jeudi 25 février, la composition et le programme d’action de son gouvernement au Conseil présidentiel pour examen et à la Chambre des représentants pour approbation. Si l’obstacle du conseil présidentiel n’est pas insurmontable (les trois membres de ce conseil étaient sur la même liste que le Premier ministre), celui du Parlement risque en revanche d’être difficile à franchir. Et le temps est compté pour Abdel Hamid Dbeibah qui a jusqu’au 19 mars pour tenter d’obtenir la confiance des représentants de la Chambre du peuple.
Premier ministre sans assise régionale, Dbeibah doit encore ferrailler pour asseoir la légitimité que ne peut lui conférer un sommet onusien. En outre, dans l’Est contrôlé par Khalifa Haftar, les chefs des tribus soutenaient la liste concurrente d’Aguila Saleh, président d’un Parlement miné par les divisions.
Dans la Libye post-Kadhafi déchirée par les conflits depuis 2011, le dialogue interlibyen initié par l’Onu avait fourni un cadre inespéré pour la stabilité et la paix. Mais avec les nouvelles révélations du rapport de l’Onu, les différentes factions et organisations en présence auront beau jeu de tirer prétexte de cette élection irrégulière pour saborder le processus en cours et espérer se repositionner ou relancer le conflit.
Stéphane Alidjinou