“Quand les singes sont au pouvoir, tous les champs sont en danger”
Nul ne peut reprocher à un citoyen d’avoir choisi de s’engager politiquement : ce serait contraire aux droits de l’homme et à son statut de citoyen. On ne peut pas non plus reprocher à un citoyen ses choix partisans, son idéologie ; bref, sa conscience. La faculté de choisir ses idées et ses valeurs est constitutive de son être ; c’est d’ailleurs la seule chose qui confère le statut de citoyen.
Car le chien du président a beau vivre mieux que les citoyens, ça ne fait pas de lui un citoyen : s’il était nanti de la raison, il ne serait pas un chien. La qualité de citoyen ne saurait dès lors échoir qu’à des êtres rationnels, jouissant de toute leur capacité d’opiner et de discerner.
En revanche ce qu’on ne saurait tolérer, c’est qu’un citoyen use des mêmes prérogatives qu’il refuse à ses concitoyens ou qu’il travaille à enlever à ces derniers l’essence même de leur citoyenneté. Or est-il raisonnable de chercher à obliger la raison à endosser les caprices et les desseins égoïstes d’un homme quel qu’il soit ? Comment comprendre qu’on reproche aux citoyens leur droit à la parole, leur liberté d’expression et de conscience alors qu’on a bâti tout son patrimoine politique sur cette base ? Voilà la situation paradoxale dans laquelle nous a plongés une race très opportuniste de journalistes et d’intellectuels organiques.
Aux militaires on demande de ne pas faire de la politique ; aux enseignants de cesser toute activité politique dès qu’ils sont dans l’enceinte de l’école ; aux religieux de respecter la laïcité… Mais comment débusquer le travail politique d’un journaliste au sein d’une corporation ou même d’une rédaction libre ? Quel est le mérite d’un journaliste qui prétexte de la neutralité pour poser des actes politiques sournois ? Comment comprendre que ce même journaliste, une fois son dessein assouvi, trouve malsain qu’un journaliste ou un simple intellectuel puisse faire preuve de liberté par rapport à son pouvoir ?
Il n’y a pas de meilleur baromètre d’une démocratie saine que l’état de la presse et des intellectuels : la meilleure façon de mesurer le destin de la liberté dans une société, c’est de sonder celle de ces deux sphères. Or jamais la situation des intellectuels et de la presse n’a été aussi précaire dans notre pays. Certains d’entre eux sont du côté du pouvoir (c’est leur droit) mais la répression fiscale et politique qui s’abat sur les entreprises de presse et les citoyens est encore plus inquiétante. Il y a deux façons de réprimer la liberté : la compromission par la corruption (même dissimulée) et la violence (police et prison). Pourquoi tant de voix sont devenues aphones ? Voilà pourquoi la culture des prébendes et les privilèges indus sont les pires ennemis de la démocratie.
Ce qui se passe dans ce pays est une arnaque démocratique : des gens se sont incrustés dans le jeu démocratique prétendant être des journalistes professionnels alors que leur motivation était juste le partage du pouvoir. Ils ont trompé l’opinion, l’ont capturée et la manipule au gré de leurs intérêts. Le peuple et la république ne les intéressent pas. Il faut travailler à déconstruire ces faux dévots de la démocratie. Nous ne pouvons pas créer de nouveaux médias, mais nous pouvons mettre en place une nouvelle Epistémè : notre discours enfantera des comportements rédempteurs.
Pour ce faire, il nous faut un usage révolutionnaire des technologies de l’information et de la communication. Les réseaux sociaux sont la revanche que la raison (la science) a pris sur les politiciens, mais faudrait-il en faire un usage utile. Des vidéos et des reportages sur la situations économique et sanitaire désastreuse, des photos sur le manque d’hygiène notoire dans les écoles… Nous pouvons le faire : une analyse spéculative, c’est comme l’art aux yeux de Victor Hugo. « L’art pour l’art est beau, mais le l’art pour le progrès est plus beau encore ». Une analyse est toujours utile, mais elle est en plus efficiente si elle est assortie de faits.
Il faut changer de type de débat : là où ça fait très mal, c’est la mal gouvernance. Il faut persuader le peuple que son pétrole et ses autres ressources naturelles sont volées et lui désigner des coupables. Il faut expliquer clairement aux paysans le système de servage auquel ils sont réduits avec la SONACOS, il faut insister sur les sabotages du système politique par ce régime avec des législatives gravement désorganisées, une présidentielle usurpée à l’avance. Mais il faut surtout montrer au peuple ce qu’il faut qu’il voie : le Sénégal scandaleux.
Quant aux « chiens de garde de la presse », il faut simplement rappeler qu’un chien de garde n’est pas forcément un bon chien de chasse. Il tombe inexorablement dans la tragédie dès qu’il franchit cette lisière. Car pour ne pas rentrer bredouille auprès de son maître, il risquera à la fin de chaque journée de ramener des cadavres ou, à défaut, amputer une partie de sa propre queue pour lui faire plaisir.
Alassane K. KITANE
« Su golo u wacce nit Ni yçk Ndumbelan dina tané »