«L’habit ne fait pas le moine», entend-on souvent dire. En terre sénégalaise, toutefois, les «moines» se reconnaissent par simple coup d’œil à travers leur mise. Autant d’habits que de branches au sein de la communauté musulmane d’ici. Quelques-uns de ces costumes…
La couleur et le style de leurs habits diffèrent, mais tous ont en commun la longueur du pantalon. Ce dernier n’arrive jamais à la cheville, quelle que soit la personne observée. À la mosquée de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, on s’habille court. «Cëkkël», ce mot est utilisé par plus d’un pour désigner le mode vestimentaire à pantalon court qui distingue ceux-là qu’on appelle «Ibadous». Ces derniers ne se disent certes pas confrériques mais ont leur spécificité vestimentaire. Presque chacune des différentes branches qui composent la communauté musulmane sénégalaise a un trait stylistique qui la différencie des autres. Lorsqu’il y a un «bonnet carré» renvoyant à Tivaouane et une modeste percale blanche qui fait penser au sable de mer de Diamalaye et à Limamou Laye, Médina Baye et Touba ont eux-aussi leur empreinte stylistique.
À la mosquée Massalikul Jinane dont la brillance des décorations se voit amplifiée par un soleil de midi, on retrouve Ndiaye. L’effet d’un vent moyen défait le nœud qui faisait tenir un foulard blanc autour de son cou. Sous son masque, on distingue le mouvement d’une bouche qu’accompagne l’action de doigts occupés à égrener un chapelet. C’est l’heure du «zikr», impossible de discuter avec celui que les autres désignent pourtant plus éloquent que le reste du groupe assis à l’ombre, dans la grande cour de la mosquée qui surplombe Colobane. Plus loin, Bamba Souané ne se prive pas de la parole. «Décomplexé», entend-on de son discours. «C’était la manière de s’habiller de Baye Lahat. Le défunt Atou Diagne l’a vulgarisée de telle sorte que maintenant, on n’est pas complexé de porter ce type d’habit». Bamba Souané parle ainsi de ce grand boubou avec lequel se vêtait Baye Lahat, l’un des défunts khalifes de la confrérie mouride. Un habit qui porte désormais et à jamais son nom. Un accoutrement distinctif auquel on reconnaît le Mouride et qui n’est pas d’ailleurs le seul. Puisqu’il y a, avec lui, le «Serigne Chouaybou».
À la sortie de Massalikul Jinane, sur la route menant vers le marché des Hlm, le jeune Demba vend tous les deux modèles. Ils sont prisés par les disciples mourides. Pour Bamba Souané, le «Baye Lahat» est plus qu’un vêtement : c’est une autre manière de s’identifier à son guide spirituel. Une partie de l’identité mouride…
Du culturel dans le cultuel
Du côté de la mosquée universitaire, par contre, on soutient que l’injonction de se vêtir avec un pantalon d’une longueur comprise entre mi-mollets et chevilles vient du prophète. Ainsi s’habillait-il, ainsi a-t-il demandé aux hommes de la communauté de s’habiller. L’explication est de Makhtar Diakhoumpa, imam et président de la commission formation et prédication islamique à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. L’imam précise que dans quelques versions de la tradition prophétique rapportée, il est permis que le pantalon descende pour se rapprocher encore plus de la cheville. Cette dernière est toutefois la limite à ne pas franchir. Le feu est la conséquence du désobéissant qui laisserait traîner son pantalon par ostentation. Les routes du désert de l’Arabie et les vents de cet espace culturel ont aussi fait entrer en terre sénégalaise des voiles de tout genre. Du hijab simple à la burqa qui ne laisse apparaître que les yeux, une large palette s’offre aux dames. «Dans notre famille, tout le monde porte le meulfeu», dira Maïmouna Aïdara. Et le seul « meulfeu» ne suffit pas parfois. Il est assorti d’un sous-vêtement collant à manches longues, qui vient compléter ce type de voile non cousu avec lequel on s’enveloppe tout le corps pour le cacher. À l’en croire, cette variante du voile est culturelle. Chez elle, on la préfère à la djellaba tout aussi appréciée par les Sénégalaises qui en mettent…même sans foulard.
Du «Cëkkël» au «bonnet carré»
«Boroom bonnet carré bi» ! Cette expression qui peut littéralement signifier «l’homme au bonnet carré» est directement rattachée à Serigne Babacar Sy, comme d’ailleurs le qualificatif «élégant» est attribué aux Tidianes par l’appréciation populaire. Cette élégance ? Babacar Seck l’incarne à fond. Parce que «notre guide nous l’a recommandée», dit-il. Mais c’est avec la même énergie que le «talibé Cheikh» rejette l’étiquette de «jaaytaar» (frimeur), quelquefois utilisée pour désigner ses condisciples. La recherche de la beauté dans l’habillement, selon Babacar Seck, est une preuve de respect, d’exaltation du prophète. Parce que «c’est vers lui que mène notre confrérie, la Tidianiya. Raison pour laquelle nous nous faisons beaux pour aller assister aux séances de zikr». Par séances de zikr, il entend la «hadaratoul jum’aa» que la confrérie tient chaque vendredi, en plus de la «wazifa» qui est quant à elle tenue quotidiennement. Le bonnet carré coiffe le tout : l’habillement est composé de grand boubou cousu dans du bazin riche, de babouches. «Un parfum cher et de bonne qualité» sera la bienvenue.
Les «Mbaxana Faydu» ou l’influence nigériane
Dans cette même confrérie tidiane, un autre groupe se distingue par «le bonnet de la faydu». Un type de bonnet particulier auquel on reconnaît les disciples de Cheikh Ibrahima Niass. C’est à partir de Médina Baye que ces chapeaux ont envahi le reste du pays. Les «Mbaxana faydu» font désormais partie du décor du paysage confrérique. Un business fleurissant est même né de ce style des «talibés Baye». Pourtant, explique Omar Boun Khatab Kébé, ces chapeaux aux décors originaux qui attirent plus d’un regard sont tissés au Nigeria, pays où l’influence de Baye n’est plus à démontrer. Cheikh Ibrahima Niass, explique Omar Boun Khatab Kébé, s’affichait fréquemment en manteau. Chose que ses khalifes et bon nombre de ses disciples ont aussi copié de lui, en plus du «kaala» (grand foulard) blanc qu’il nouait autour de sa tête.
À Dakar, près des flots, existe une autre branche de la communauté musulmane sénégalaise. Les Layènes sont dans ce qu’il y a de plus basique comme accoutrement. Ils se distinguent par le port uniforme de la percale, ce tissu blanc de moindre valeur dans lequel la dépouille des musulmans est enveloppée ; une fois que la faucheuse aura dépossédé les chairs de leurs manteaux, boubous et chapeaux…Comme pour se draper dans leur humilité.