Il aura été au cœur de la communication dans l’affaire de l’étudiante Diary Sow. Parrain de la lycéenne en prépa à Paris, Serigne Mbaye Thiam s’est donné corps et âme pour retrouver sa filleule et la ramener au bercail. Un activisme vu par certains, comme une tentative de récupération politique pour un ministre de l’Eau en perte de vitesse dans sa propre formation politique. Pourtant, il n’en serait pas à son premier coup de main.
La légende voudrait que le papa de Diary Sow soit un ancien enfant de troupe. Qu’il ait fait son cursus au Prytanée militaire Charles N’Tchoréré de Saint-Louis. Mais ce n’est qu’une fable. Feu Karim Sow était un pâtissier qui n’a connu le ministre Serigne Mbaye Thiam qu’en 2017, lorsque sa fille, alors en classe de Seconde au lycée d’excellence de Diourbel, remporte pour la première fois le concours de Miss Sciences. C’est Makhfouss Sarr, frère de Karim et oncle de Diary qui authentifie l’anecdote. Cette rencontre va consacrer un autre fait : celui du mécénat du ministre de l’Eau qui décide, à l’issue de cette remise de prix, de prendre sous son aile la lycéenne. Depuis, il n’a jamais manqué les rendez-vous, quand il s’est agi de la soutenir et de la conseiller dans ses choix. Comme un père. Une place qu’il occupe d’ailleurs pleinement depuis le décès du pater de la fille.
Du 4 au 25 janvier, Serigne Mbaye Thiam n’a de cesse de retrouver la jeune femme de 20 ans et de protéger son image de la vindicte populaire. Il n’a reculé devant aucun sacrifice, même celui d’abandonner les affaires pour s’envoler en France et la ramener auprès des siens. C’est encore par son intermédiaire que les Sénégalais reçoivent les premiers signes de vie, après 15 jours de mystère. Le parrain a jugé nécessaire de publier sur Twitter des extraits de ses échanges avec sa filleule. Quelques mots en guise de réponses aux questions suscitées par sa disparition. Mais derrière l’inquiétude, un malaise. La publication de cette correspondance privée fait naître de vives polémiques. La principale étant une critique sur la surexposition du ministre dans cette affaire. Dame Mbodji, secrétaire général du Cusems Authentique : «Il y a une médiatisation à outrance des performances de Diary Sow. C’est Serigne Mbaye Thiam qui a fait de la politique politicienne avec cette affaire. Le pire c’est qu’on a promis à cette fille d’être connue partout dans le monde. Alors qu’elle n’est pas la meilleure du monde. Même si c’est une fille brillante, on lui a mis toute une pression.» Membre du collectif «Retrouvons Diary», Mimo Dia estime, quant à lui, que «ce n’est pas du ressort de Serigne Mbaye Thiam de publier les échanges qu’il a eus avec Diary Sow». Au détriment de la famille et surtout de la mère qui a adopté une relative discrétion.
La dette. La première explication au comportement de Serigne Mbaye Thiam vient d’Amadou Dieng, porte-parole du mouvement politique Tekki. Le ministre et député-maire de Sédhiou, Adama Diallo, père de Mamadou Lamine Diallo, ministre-député-maire de Sédhiou, a fait pour Serigne Mbaye Thiam ce que ce dernier est en train de faire pour Diary Sow. Il a connu Serigne Mbaye Thiam, ancien lauréat du concours général, et lui a obtenu une bourse. Un coup de main qui a permis au jeune étudiant d’alors de poursuivre ses études à l’étranger», confie-t-il. Une dette que le ministre de l’Eau semble vouloir rendre en faisant du parrainage auprès des étudiants. Il suffit de creuser un peu pour savoir que le socialiste n’en est pas à son coup d’essai. Ils sont plusieurs cadres à avouer avoir bénéficié de son soutien dans leur carrière. Tous le décrivent comme un «dénicheur de phénix, un booster d’excellence». Établie en France depuis l’obtention de son baccalauréat en 2009, Magatte Niang Guèye est chercheuse en Sciences des matériaux.
Au bout du fil, elle retrace sa relation avec l’ancien ministre de l’Education nationale. «J’ai partagé la même classe avec son fils, de la 4e à la Terminale au Collège Sacré-Cœur de Dakar. Il nous expliquait le système des admissions post-bac, des classes préparatoires… Il nous expliquait les opportunités que nous avions pour étudier à l’étranger. Avant d’aller en prépa, nous avons encore bénéficié de ses conseils. Il nous a prévenus sur les difficultés de la tâche. On s’écrivait pour se donner des nouvelles. Ses conseils m’ont beaucoup aidée. Quand on préparait les concours, il me conseillait sur les écoles. Quand il y avait des choix à faire, il me conseillait. Il fait toujours le suivi et s’intéresse à ce que je fais. La dernière fois que je suis venue au Sénégal, en janvier 2020, je l’ai rencontré. Il est même venu à la maison. Sur sa demande, je suis partie faire une conférence au lycée d’excellence de Diourbel pour donner les mêmes conseils qu’il nous avait prodigués», témoigne-t-elle. Le père de cette dernière en conçoit encore de la gratitude. Ousseynou Guèye dit être infiniment reconnaissant envers Serigne Mbaye Thiam qui, en 2009, a aidé sa fille à intégrer les classes préparatoires au Lycée Clémenceau de Nantes.
«Ma fille avait de bonnes notes. Elle était première de sa classe en Terminale S1 avec la moyenne de 16. Compte tenu de ses notes, elle a eu la pré inscription au lycée Clémenceau de Nantes en France. Malheureusement, au Bac, ses notes ont chuté et elle n’avait plus droit à la bourse. C’était une grosse déception jusqu’au jour où j’ai reçu un appel de Serigne Mbaye Thiam. Son fils lui avait parlé du cas de ma fille. Il m’a appelé à l’heure du dîner et m’a demandé de passer chez lui avec les bulletins de notes de ma fille puis, il a plaidé pour elle auprès de la direction de la bourse», conclut-il. Le ministre de l’Eau n’en était pourtant pas à son coup d’essai.
Dénicheur de talent. Pour Serigne Mbaye Thiam qui a les affaires de la Nation à cœur, il s’agit surtout de ne pas laisser choir les talents. De faire en sorte que la Nation puisse les reconnaître et s’en occuper. C’est pour lui une question d’avenir. Lorsque Mamadou obtient son bac avec brio, il est confronté à une difficulté de taille. «En juillet 2009, j’ai été mis en contact avec Serigne Mbaye Thiam par le personnel de la direction des bourses. Il aidait alors beaucoup d’étudiants qui n’avaient pas de préinscription nécessaire pour une demande de visa d’étudiant. Il a fait toutes les démarches pour moi et m’a même obtenu un contact pour un hébergement», témoigne à son tour l’ancien étudiant et aujourd’hui, docteur en Physique des plasmas.
Avant lui, Biagui Ndecky a pu rejoindre un établissement d’excellence grâce encore à l’entregent du socialiste. Bachelier éligible à la bourse d’excellence, mais sans préinscription dans un établissement d’enseignement supérieur étranger ni véritable projet d’études, il réussit à se construire académiquement avec l’aide sans faille du mécène. «Je l’ai rencontré grâce au Commandant Thioune, directeur du Prytanée Militaire de Saint-Louis, à l’époque. Il m’a accompagné dans tout mon processus et même en France, il ne manquait jamais de prendre de mes nouvelles. Il est même passé me voir à Amiens, ce fut un geste d’attention absolument remarquable», dit Biagui.
Mais si ces témoignages qui lèvent un coin du voile sur l’affection que semble vouer Serigne Mbaye Thiam à Diary Sow, ils n’en expliquent pas le secret. Pour le ministre, le cas de cette filleule va au-delà d’un mécénat ou d’un dénicheur de talent. C’est avant tout une promesse qu’il tente de tenir. Makhfouz Sarr est l’oncle de la jeune femme, il atteste ici d’un vœu connu dans la famille Sow. «C’est le père de Diary, de son vivant, qui avait fait promettre au ministre de prendre soin de sa fille. Et il s’acquitte de cette promesse, il est comme un père pour Diary. Il la conseille sur le plan pédagogique et social. Comme il l’a fait avec beaucoup d’autres étudiants». Des mots qui balaient toutes les accusations de politisation et de récupération prêtées à Serigne Mbaye Thiam lors de la disparition de Diary Sow.
AIDA COUMBA DIOP