Les puissances mondiales se posent en rivales sur la question des vaccins anti-Covid, les intérêts nationaux reprenant le dessus sur le multilatéralisme pourtant prôné par l’OMS. Et face à des pays occidentaux se repliant sur eux-mêmes, le “soft power” chinois tisse un peu plus sa toile.
En géopolitique, chaque occasion est bonne pour avancer ses pions. La crise sanitaire du Covid-19, et tout particulièrement la course aux vaccins, l’a encore prouvé : les questions de prestige, de rivalité et de “soft power” ont incité les puissances mondiales à se concurrencer plutôt qu’à travailler en commun.
La course a d’abord été celle de la production d’un vaccin, considéré comme le remède miracle pour mettre fin à une pandémie qui empoisonne le monde depuis plus d’un an. À ce petit jeu, les États-Unis( vaccins pfizer et Moderna), le Royaume-Uni (vaccin AstraZeneca), la Chine( vaccins Sinopharm et Sinovac) et la Russie (vaccins Spoutnik-V) ont été les grands gagnants. Mais l’enjeu, désormais, est de faire vacciner sa population, et dans ce domaine, personne n’a réussi à faire aussi bien qu’Israël, dont le tiers de la population a déjà reçu au moins une dose.
“Avec Israël, il y a là une vraie performance. Ils ont certes surpayé le vaccin, mais ils ont aujourd’hui le record du taux de vaccination. Or, il y aura bientôt des élections en Israël et pour le Premier ministre [Benjamin Netanyahu], qui est en difficulté sur d’autres sujets, ce sera forcément un plus de pouvoir se présenter devant les électeurs avec une forte proportion de la population déjà vaccinée”, souligne sur France 24 Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Car il s’agit d’abord pour les États de répondre à la demande de leur propre population. Qu’ils soient en Israël, aux États-Unis ou en France, les citoyens du monde entier ont besoin d’être rassurés et désirent vivement que les mesures restrictives qui bouleversent leur vie depuis des mois prennent fin. De la capacité à délivrer les vaccins et ainsi enrayer la propagation du Covid-19 sur son territoire dépend donc l’avenir de nombreux dirigeants.
Le début de pénurie qui touche l’Union européenne et la récente passe d’armes entre la présidente de la commission européenne. Ursula Von der Leyen, et le laboratoire britannique AstraZeneca, coupable de retards de livraison, illustrent parfaitement la crispation qui peut s’installer autour des vaccins.
“La question de la livraison est devenue un vrai enjeu politique, confirme sur France 24 Amandine Crespy, politologue de l’Université libre de Bruxelles. Qui dit Royaume-Uni, dit Brexit. Donc pour Boris Johnson, il est primordial de figurer en tête de cette course au vaccin pour montrer que même en-dehors de l’Union européenne, le Royaume-Uni n’a rien perdu de sa capacité d’action et peut activer des leviers pour protéger sa population au mieux, voire mieux que ne le ferait Bruxelles.”
“Un parfum de Guerre froide”
Au-delà des considérations de politique intérieure, la géopolitique du vaccin redessine des lignes de fracture que l’on croyait appartenir au passé. D’un côté, les pays occidentaux ne jurent que par leurs propres vaccins et se les approprient. De l’autre, Chine et Russie tentent de rivaliser avec les puissances occidentales.
“On voit bien que cette rivalité stratégique a un parfum de Guerre froide, juge Pascal Boniface. Le fait que la Russie ait appelé son vaccin ‘Spoutnik’ est tout sauf un hasard. Cela rappelle le ‘moment Spoutnik’, lorsque les Russes avaient mis en orbite leur propre fusée en 1957, à la grande surprise des Américains, qui ont cru un instant qu’ils étaient déclassés stratégiquement par l’Union soviétique.”
Le vaccin chinois, un “bien public mondial”
De son côté, Pékin a adopté une position inverse. Dans son discours devant l’Assemblée mondiale de la santé, le 18 mai 2020, le président chinois Xi Jinping a affirmé que tout vaccin mis au point par la Chine avait vocation à devenir un “bien public mondial”. Huit mois plus tard, les Chinois sont en passe de réussir leur pari.
“Dans sa diplomatie du vaccin, la Chine a des atouts extrêmement importants avec plusieurs vaccins, des capacités de production considérables, des vaccins qui sont parfois plus faciles à utiliser et, surtout, une priorité très claire : fournir assez vite les pays en développement”, explique sur France 24 Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Reste à savoir ce que valent exactement les vaccins chinois, pour lesquels aucune étude complète n’est disponible à ce jour. Si ces derniers se révélaient peu efficaces ou, pire, dangereux pour la santé, cela pourrait réduire à néant tous les efforts de Pékin.