Depuis quelques temps, la sphère musicale sénégalaise met en scène une dualité entre les artistes chanteurs Youssou Ndour et Waly Seck. Le premier a conquis une légitimité internationale, le second déchaîne les passions sous nos tropiques. Focus sur un duel de ténors.
Par Mamadou Oumar KAMARA
L’un a 61 ans et une carrière vieille de plus de 40 ans, l’autre est âgé de 35 ans et a entamé sa carrière à 22 ans. L’un a déjà conquis la planète de la musique, l’autre déchaîne les plus folles passions sous nos tropiques. Le briscard capitalise plus d’une cinquantaine d’albums, plus d’une trentaine de featuring avec des habitués des hit-parades dont il est lui-même un accoutumé et est membre de l’Académie royale de musique de Suède. Le jeune loup, lui, a produit quatre albums et se révèle un véritable monstre prolifique des scènes. L’un compte, dans son armoire à trophées garnie et son doré livre de titres, deux disques d’or et un Grammy Awards. Il est aussi élu, en 1999, meilleur artiste africain du siècle 1900. L’autre est désigné, en 2018, par le Next Generation Entertainment Awards, comme le meilleur artiste africain de sa génération après un vote massif de mélomanes.
L’un s’appelle Youssou Ndour, l’autre Waly Seck. Ils sont tous deux chanteurs, compositeurs et interprètes. Leurs palmarès, le papier, le profil et les pedigrees présentent un fossé presque abyssal entre eux. Cependant, depuis quelques années déjà, une rivalité s’est imposée. Au-delà d’un prolongement de la dualité Thione Seck – Youssou Ndour, cette idée se prononce sur le plateau de la musique et de la notoriété au plan local. Aïta, une inconditionnelle de Waly Seck, s’accroche mordicus à l’idée que sa vedette est maintenant le patron de la musique sénégalaise. «Le temps du Pa Youssou est révolu. Il n’y a que les méchants pour ne pas accepter la suprématie de Waly au Sénégal. Il maîtrise tout maintenant», se convainc la jeune femme, la vingtaine. Baïdy Sylla, presque quinqua, est de ceux qui suaient et criaient au pas de la scène du dancing Dlc (Dakar Loisirs Club–Thiossane) dans les années 1990.
De son avis, c’est «limite irrespectueux, encore plus envers Waly, de le comparer sur le plan de la musique, à Youssou Ndour». Toutefois, dit-il comprendre l’euphorie de ses adulateurs, car «je me revois sincèrement en eux», il y a 30 ans. Cette «rivalité» est justement parrainée par les fans des deux camps, qui portent dans la majorité les arguments de Baïdy et Aïta. Waly Seck, qui n’a par ailleurs jamais nié sa volonté de détrôner le roi, a cependant toujours fait preuve d’élégance et de courtoisie. En tout cas, il est bien moins prononcé et virulent que son père, Thione.
Mais qu’en pensent les avisés du milieu, de cette rivalité ? «Je ne pense pas vraiment qu’on puisse parler de rivalité. Ce sont les fans qui créent cette situation. Dans la musique, chaque artiste joue sa partition. C’est ce public qui est seul juge, il apprécie. Il faut juste se concentrer sur son travail et proposer à ce public un travail de qualité», affirme Michael Soumah, réputé animateur culturel et acteur de la musique, évitant au mieux de personnaliser son propos.
AU COUDE-À-COUDE SUR LES «SCENES» …
Le président des manageurs et agents d’artistes du Sénégal suit le même pas, qualifiant le mot rivalité d’inapproprié. «Ce sont deux talents qui se partagent une sphère, l’un ayant retrouvé l’autre des décennies plus tard. Chacun suit sa propre voie. Il faut que les gens cessent d’alimenter de faux débats», dit Moustapha Goudiaby, par ailleurs ancien manager de Thione Seck, père de Waly, pendant des années.
Cette observation, Alioune Diop s’en démarque. Pour le journaliste culturel à la radio publique Rsi et spécialiste de la musique, il est bien adéquat de parler concurrence. «En tout cas, du point de vue de l’audience dans l’espace audiovisuel et scénique. Sur la bande Fm, il faut aussi admettre qu’il y a cette rivalité. Tout le monde veut inviter ou programmer Youssou Ndour tout comme Waly Seck. Pour le nombre des prestations scéniques, la jeune vedette aussi accumule beaucoup de contrats et se montre prolifique. Sur ces terrains, il existe bel et bien une rivalité. Mais en dehors de ces espaces maintenant, oui, il serait malvenu de les placer au même pied», soutient Alioune Diop. Comme présenté au début du texte, Youssou Ndour est une figure mondiale de la musique, une «star planétaire» qui a suffisamment montré ses preuves et continue encore de faire tonner sa maestria.
Les cinq dernières années, ses albums, nationaux et internationaux, crèvent les plateformes du monde, avec un renouvellement et une adaptation remarquables de son registre. «Youssou est un monstre de la musique. C’est une grosse machine. Au-delà du mbalakh, dont il reste le roi, il a toujours développé avec brio un travail de collaboration avec des artistes d’horizons assez différents. Cela a élargi son champ et lui a donné un succès très large sur le plan international», observe Michael Soumah. Alioune Diop appuie les mêmes points. «Youssou Ndour reste le meilleur et est au sommet de son art principalement parce que c’est quelqu’un qui sait négocier les virages. C’est un artiste qui sait réorienter son répertoire. Il sait aussi trop bien choisir ses collaborateurs. Tout ceci explique pourquoi il est toujours présent», admet le journaliste culturel.
Parmi ces collaborateurs, on note Jean-Philippe Rykiel. Ce génial musicien français, qui a arrangé ou composé beaucoup de tubes mondiaux et d’Africains notamment, ne tarit pas de dithyrambes au sujet du talent et de la personnalité artistique du natif de la Médina. Cet aveugle-né confie être subjugué par la volonté permanente du lead vocal du Super Étoile d’expérimenter toujours de nouvelles choses en musique et d’être très inventif, en plus de la charge d’émotion dans sa musique.
Youssou Ndour, tel le vin, et Waly tel le bouillon
À en croire encore Jean-Philippe Rykiel, Wally Seck y est déjà. «Waly Seck m’a surpris lorsqu’il a fait appel à moi pour une séance d’enregistrement qui a duré toute une après-midi. Je pensais qu’il ne faisait que du Marimba et j’ai découvert qu’il partait dans plein de directions musicales différentes ; et c’est très encourageant». Pour qui connaît l’homme et la musique, ce témoignage a grande signification. Cet arrangeur a signé les premiers et plus grands albums internationaux de Youssou Ndour et Salif Keïta, par exemple. Le recours à lui et les mutations factuelles des orientations musicales de Waly dont il témoigne font sens. La jeune star était, aux balbutiements de sa carrière, seulement classé comme un «brillant ambianceur», avec les rythmes de l’orchestre Raam Daan qui ont imprimé de gaies et nouvelles couleurs à la musique sénégalaise. Tout comme le Super Etoile au début des années 1980.
Mais aujourd’hui, tout comme dans sa communication, les mélomanes perçoivent et acceptent sa maturation. «Aujourd’hui, il est vrai, Waly ne manque pas d’arguments pour rivaliser avec Youssou Ndour même s’il faut avancer cette affirmation avec beaucoup de retenue. Les signaux deviennent clairs. On remarque maintenant que les plus âgés acceptent de mieux en mieux la musique de Waly Seck. Sa musique et son succès deviennent une réalité. Cela montre que son répertoire s’est beaucoup amélioré et qu’il emploie de nouvelles techniques de chant», fait remarquer Alioune Diop. C’est une heureuse surprise qui était constatée depuis la parution de son album «Xel» (2015). «Symphonie» (2018) sera ensuite une bonne confirmation.
Beaucoup de ses pourfendeurs commençaient à se faire indulgents, et lui également signifiait considérablement ses ambitions. Après le retour de Jimmy Mbaye au Super Étoile, il a compris l’opportunité de garder les lignes et a recruté le guitariste malien Cheikh Niang, qui égaye admirablement les mélomanes. Son orchestre montre plus de discipline et intègre de nouvelles crèmes. Il dirige son propre label, gère en entreprise ses troupes et a maintenant incontestablement surclassé toute sa génération. Des initiatives, une réalité et une ambition qui, selon Moustapha Goudiaby, doivent guider à plus et mieux considérer le «Faramaareen».
«Youssou Ndour, qui est de notre génération, a eu presque la même éclosion. Il a déclassé une génération d’artistes, plus âgés ou de son âge, et a imposé tout son talent pour avoir le succès. Il s’est aussi démarqué des règles qui lui étaient établies et a commandé ses propres ambitions. Exactement comme Waly aujourd’hui. Il ne s’est pas suffi à la logistique et à la direction de son père», note le manager, qui rappelle encore que Waly n’était même pas destiné pour la musique qu’il a épousée sur le tard, d’où son mérite. Selon M. Goudiaby, Youssou a élevé certes la barre très haut, mais Waly se fait de solides arguments pour avoir la première place. Seulement, pense-t-il qu’il lui reste certains ingrédients.
Waly, le défi du plan de carrière et du rayonnement international
Malgré tous les éloges, Alioune Diop conclut tout de même que «Youssou Ndour reste Youssou Ndour». Selon le journaliste culturel, toute son expérience et ses années d’existence artistique pèsent fortement sur la balance. «C’est le meilleur et il garde encore le trône. Il est toujours devant», dit-il. Cette avance reste confortablement, de l’avis des consultants, pour son excellent plan de carrière qu’il déroule depuis quatre décennies et son rayonnement international, en plus d’un excellent orchestre et d’un grand professionnalisme. Ces qualités font probablement qu’il réussit là où beaucoup pèchent, tel que le pense Alioune Diop. «Chaque fois qu’il est question de Youssou Ndour, c’est le niveau national mais aussi inévitablement le niveau international, partout dans le monde. Et c’est là que Waly devra cravacher». Son avis rejoint vraisemblablement celui de Moustapha Goudiaby.
«Waly Seck doit maintenant s’ouvrir à l’international, négocier de grands contrats internationaux, travailler avec des managers et des tours managers et avec le label idéal. Il doit surtout ancrer dans son esprit qu’il est un chanteur-compositeur, ne rester que sur ce registre et laisser le soin à des professionnels de booster sa carrière», recommande le manager expérimenté. Michael Soumah conçoit également que c’est la bonne recette. Selon lui, le patron du Super Étoile a réussi car ayant «compris très tôt que la musique est un métier». Selon l’acteur de la musique et animateur culturel, pour une bonne carrière, «il faut mettre l’accent sur la créativité, la recherche, les collaborations. Ces points manquent beaucoup aux jeunes artistes en général».
Michael Soumah fait aussi noter que, à côté, la musique est en pleine mutation. «On parle de musique actuelle, de musique urbaine, etc. Pour briller, il faut mettre l’accent sur ces points. Youssou Ndour ne s’est pas réveillé un beau matin pour avoir toutes ses réussites. La réussite dans la musique est un travail de longue haleine, un long processus qui demande énormément de travail», considère-t-il, en ajoutant que le succès, du reste éphémère, se gère aussi sur le temps. Cette gestion se réussit notamment par une adaptation constante et en s’entourant des meilleurs. Ce que fait Waly Seck, et le réussit quelque peu, ces dernières années.