Les débarquements au niveau du quai de pêche de Hann sont en baisse. Les acteurs naviguent entre explications d’ordre conjoncturel et causes plus profondes tout en dégageant des pistes pour un secteur plus prospère et dynamique.
Le vent frais qui souffle, ce vendredi, sur le quai de pêche de Hann semble avoir transi toute activité. Les femmes écailleuses, postées à l’entrée et outils à l’arrêt, devisent à l’ombre en attendant d’éventuels clients. Plus loin, à quelques mètres des vagues, un groupe de jeunes qui se présentent comme « débarqueurs » jouent au Ludo. Ces manœuvres, assis sur un congélateur désaffecté, tapotent, à tour de rôle, sur l’écran rayé d’un téléphone portable. « Nous sommes là depuis 3 h du matin. Et comme vous le voyez, tout est presque à l’arrêt », lance Moustapha Diagne, les yeux rouges rivés sur le dé qui roule au fond de l’écran. « Au temps, les pirogues s’alignaient par dizaines sur la plage, avec des prises vraiment intéressantes, et chacun y trouvait son compte », renchérit Diop Fall, rapporte le Soleil.
Cette baisse d’activité est confirmée par les chiffres. Selon Mme Sarr, chef du Poste de contrôle, le quai a enregistré, en termes de débarquement, 785 190 tonnes en décembre 2020 contre 1 160 050 tonnes en décembre 2019. Elle précise cependant que tout n’est pas lié à la Covid-19 et souligne, outre les changements climatiques, une diminution du nombre de pirogues actives.
Active, la pirogue d’Ibrahima Sarr l’est certainement. Ce pêcheur, la combinaison encore humide, pointe un doigt accusateur sur les bateaux étrangers. « La pêche industrielle tue le secteur. Les bateaux siphonnent presque tout. Le pêcheur artisanal qui ramenait une ou deux tonnes se contente maintenant de deux caisses de 25 kilogrammes à peu près », dit-il.
« Non seulement ces navires ne respectent pas les zones qui leur sont réservées, mais ils nous causent aussi beaucoup de tracas et de dégâts. La nuit, on les aperçoit jusqu’à un kilomètre de l’îlot Sarpan. Nous avons donc des fourneaux dans nos pirogues et montons la garde à tour de rôle. À l’aide de bouteilles d’essence et de briquets, nous allumons des feux de détresse pour éviter les collisions », explique Ibrahima en jouant avec son allumoir. Il note aussi une baisse au niveau de la valeur marchande. « La caisse de 25 kilos qui coûtait 40 000 FCfa à l’époque oscille actuellement entre 20 000 et 17 000 FCfa. Du fait de la fermeture de certains marchés et du couvre-feu, les mareyeurs ont revu leurs achats à la baisse », ajoute-t-il.
Plaidoyer pour un contrôle plus efficient
Il est 13 h quand une pirogue sort de l’eau. Les « débarqueurs » accourent, les mareyeurs se rapprochent et des oiseaux paradent tout autour. Ousmane Kane, parti en mer depuis 7 h avec son frère, entame le rinçage de son embarcation en attendant de savoir ce que lui rapporteront ses trois caisses de daurades. « 17 000 FCfa la caisse ! Ce n’est pas du tout bon », se désole-t-il.
Les représentants des pêcheurs, trouvés autour du thé dans une salle du quai numéro 1, ratissent plus large pour expliquer le phénomène. Ibrahima Niang, président du Gie interprofessionnel du quai, opte pour une approche plus holistique. « Il y a deux ou trois ans, il nous arrivait de retourner du poisson à la mer. Actuellement, il ne reste plus qu’une saison d’abondance au Sénégal : celle entre mai et août. Si nous la perdons comme les trois autres, le secteur sera irrécupérable. La diminution de la ressource est graduelle et ne date pas d’aujourd’hui », précise-t-il.
Il partage la responsabilité de cette rareté entre les pêcheurs artisanaux qui ont des pratiques non réglementaires, notamment l’utilisation des filets à monofilament « qui tue la mer », les bateaux étrangers qui « tarissent la ressource » et les autorités qui ne se donnent pas toujours les moyens de surveiller les eaux maritimes et de contrôler et sanctionner au besoin les techniques illégales de pêche pratiquées. « Tant qu’on ne préservera pas les petits poissons et que les filets interdits seront toujours importés et commercialisés, la ressource aura du mal à se régénérer », indique Ibrahima.
Pèdre Ndour, à la tête du Conseil local de pêche artisanal (Clpa), demande, lui, plus de moyens et un meilleur accompagnement afin de participer, en rapport avec les structures locales et nationales, au suivi, au contrôle et à la surveillance de la pêche et des activités annexes.
Le sexagénaire confie avoir démissionné d’un navire chinois, en 1997, pour ne pas être complice de la destruction des ressources halieutiques. C’est pourquoi il affirme ne pas comprendre que des Sénégalais soient capables d’immatriculer des navires en leur nom et de servir d’hommes de paille à des sociétés étrangères. « Que chacun joue sa partition dans la préservation de ce qui nous unit et le secteur se portera mieux », conclut-il.