A Ndianda, une bourgade sise dans la commune de Nguéniène, dans le département de Mbour, les populations ne dorment plus du sommeil du juste. En cause, de mystérieux foyers d’incendie qui ont fini de ruiner la vie des habitants. Reportage !
Le voyage commence à la descente du taxi. L’ambiance dans cette bourgade est morose. Maussade, mais pas totalement sinistre. Hameau sis dans le département de Mbour, recroquevillé au bout de près de 96 km de route de Dakar, le village de Ndianda (commune de Nguéniène) offre en vue panoramique un surprenant état de délabrement qui contraste avec le charme du paysage.
Route goudronnée bordée d’arbres à la végétation luxuriante, dos d’ânes grossiers, bitume arpenté de temps à autre par les taxis-clandos qui avalent allègrement les kilomètres. En cette matinée de jeudi, le village se tire lentement d’un difficile sommeil. Sur l’esplanade du village, sorte de grande cour commune, des enfants courent derrière un ballon. Haletants et éreintés, ils s’amusent à taquiner le ballon rond sous le regard amusé d’un quintette de fillettes qui pouffent de rires, dans des mimiques comiques. Les femmes, occupées à effectuer les tâches ménagères, jettent des coups d’œil inquisiteurs sur les nouveaux venus, avant de se remettre à l’œuvre. Trois (3) jeunes, négligemment affalés sur le tronc bas d’un végétal, se prélassent en attendant le petit-déjeuner. Un calme quasi monacal règne. Tout semble harmonieux dans ce village, rapporte l’Observateur.
Tout sauf ce méchant et récurrent incendie qui perturbe depuis le 14 décembre dernier, la quiétude des populations. La cause réelle demeure inconnue. Mais, les populations avancent la thèse de la présence d’une force maléfique, en l’occurrence un djinn. Le premier incendie s’est déclaré dans la concession du sieur Dame Ndiaye. Ecorce basanée, corpulence fine, Rokhaya Sarr, mère de 12 enfants et nièce de Dame Ndiaye, s’en rappelle comme si c’était hier. «C’était le 14 décembre 2020, vers 17H30mn. On était dans la cour en train de prendre le thé en famille. Ma fille faisait le linge à côté et subitement on a aperçu le foin prendre feu», se souvient Rokhaya Sarr. Selon elle, le feu commence du haut vers le bas et personne n’en connaît l’origine. «Nous avons réussi à l’éteindre, mais une dizaine de jours après, l’incendie a repris de plus belle. Cette fois-ci, toute une chambre et des habits ont été consumés. On n’a rien pu sauver.»
«Depuis que ma concession a pris feu, nous vivons tous dans ce seul bâtiment qui tient encore debout»
Le drame de la famille Ndiaye est presque similaire à celui de Sokhna Seck. Sinon pire. Assise sur un banc, le buste adossé à un mur, Sokhna Seck tient son petit commerce au bord de la route. Cette veuve de 72 ans et mère de 9 enfants ne dort plus du sommeil du juste.
Elle est terrifiée par cette série d’incendies qui ravage depuis bientôt un mois leur localité. En deux semaines, sa concession a pris feu près d’une dizaine de fois. «En moins de 15 jours, des chambres et l’enclot des chèvres de ma concession ont pris feu à 8 reprises», embraie Sokhna Seck. Qui précise : «Si le reste du bâtiment n’avait pas été construit en dur, on dormirait à la belle étoile. Et même malgré cela, il a pris feu à 4 reprises. Il faut que l’Etat nous vienne en aide, car je n’ai nulle part où aller.» La vieille dame ne peut dissimuler son désarroi. Dans sa concession, tout ou presque a été réduit en cendres. Dans un coin, des briques sont superposées. C’est tout ce qui reste de la chambre de sa fille. Sokhna souffle : «Elle a pris feu successivement deux fois dans une même soirée.
Ce jour-là, l’incendie était tellement violent que les gens ne parvenaient pas à l’éteindre. Parmi les garçons qui avaient grimpé sur le mur pour l’éteindre, un est tombé au cœur du brasier. Je me suis évanouie croyant qu’il serait consumé par les flammes», explique Sokhna Seck. Qui poursuit : «J’ai été admise en urgence au poste de santé et j’ai été mise sous perfusion. Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. Le garçon s’en est tiré avec de légères brûlures.» Depuis cette série d’incendies dans sa concession, Sokhna et sa famille vivent dans la promiscuité.
«Nous vivons tous dans ce seul bâtiment qui tient encore debout. Avec mes 4 fils et leurs épouses, ma fille qui est veuve et ses enfants, nous nous entassons comme des sardines dans deux pièces. Celle qui est divorcée dort dans la véranda avec sa progéniture», détaille Sokhna Seck. Selon elle, presque tout leur bien a été consumé par cette série d’incendies. «Nous n’avons encore reçu aucune aide et on en a vraiment besoin», geint la vieille dame.
«On nous a dit que c’est l’œuvre d’un être surnaturel»
«Cette situation est terrible», hoquète Ousseynou Diouf. Marié à 3 épouses, l’homme a pris des congés pour assister sa famille dans cette dure épreuve. «Certes, je ne peux rien contre cette série d’incendies, mais je sais que ma présence les réconforte», dit-il. Assis sur une chaise en fer, silhouette fine enveloppée dans un blouson bleu, la tête inclinée vers la gauche, Ousseynou est ingénieur en Génie civil dans une entreprise de la place à Dakar.
«On nous dit que c’est l’œuvre d’un être surnaturel. Il s’en prend à nos vivres et nos habits. Dans notre concession, l’incendie s’y est déclaré à 8 reprises. Presque tout ce que nous avions récolté a été consumé», indique-t-il. Ousseynou Diouf d’enchaîner : «Si un incendie se déclare la nuit, on risque d’avoir des pertes en vies humaines. Ce qui n’est pas encore le cas grâce à la promptitude des secours du voisinage durant la journée.» Décortiquant de l’arachide dans un bol en nickel, la deuxième épouse d’Ousseynou Diouf, Fatou Ndong, laisse entendre dans la foulée : «En un seul jour, trois endroits de la concession ont pris feu à des intervalles très réduites. Ceux qui éteignaient le feu n’ont même pas eu le temps de regagner leur domicile qu’un autre s’est déclaré dans la même concession. C’est infernal.»
«600 kg de mil réduits en cendres»
Niokhor Sène, quant à lui, a sursauté de son lit moins de 2 heures après l’annonce du Nouvel An pour apprendre que la plus grande quantité de sa récolte de mil a été réduite en cendres par un incendie dont l’origine reste mystérieuse. «L’incendie a démarré de la maison voisine et s’est propagé jusque chez moi. C’était vers 2 heures du matin (le 1er janvier 2021) qu’on m’a réveillé et presque toute ma récolte de mil a été consumée par l’incendie ainsi que le foin du cheval», explique-t-il. Aujourd’hui, la petite famille de Niokhor, composée de 4 enfants, est menacée par une crise alimentaire.
«Ce sont 600 kg de mil qui constituaient notre réserve annuelle en vivres qui ont été réduits en cendres. Je m’attends au pire. Ce sera vraiment difficile d’assurer la subsistance de nos familles en attendant l’hivernage prochain», se lamente Niokhor Sène. Ndèye Marie Top a eu plus de veine.
Plus que des vivres, elle a failli laisser sa vie dans ces incendies. Prise de panique alors qu’un incendie s’était déclaré à son domicile, elle s’est évanouie dans la rue au moment d’appeler les secours. «C’est arrivé très vite ! J’ai entendu des cris. Quand je suis sortie de ma chambre, j’ai aperçu l’autre chambre mitoyenne encerclée par les flammes. Je suis sortie dans la rue pour appeler au secours, mais sous le choc, je me suis évanouie», explique la quinqua, mère de 8 enfants.
Selon elle, à chaque fois qu’un incendie est déclaré dans un endroit et que les gens se hâtent pour l’éteindre, un autre se déclare ailleurs et parfois dans la même concession. «Durant la semaine, un ou des incendies peuvent se déclarer tous les jours. Il se calme parfois, mais ça ne dépasse pas 2 jours. Un incendie peut se déclarer 3 à 4 fois le même jour à des endroits différents et parfois même dans une seule concession», détaille-t-elle.
Quand l’incendie est revenu à leur domicile, «l’être mystérieux» s’en est pris au véhicule de son fils, Michel Ndong dit Papy, qui venait de le garer devant leur maison. «Il avait fermé les vitres et tout d’un coup, on a aperçu de la fumée y sortir. C’est un des coussins qui avait pris feu et heureusement qu’il avait un extincteur à bord. Le feu a été vite maîtrisé, sinon le pire aller se produire», explique Ndèye Marie Top. Un mal mystérieux qui ruine la vie de ces populations qui ne savent plus à quel saint se vouer. Surtout que le recours aux sapeurs-pompiers s’est révélé, à chaque fois, vain. «La caserne la plus proche se trouve à 35km d’ici, dans la commune de Mbour. La première fois qu’on a fait appel à eux, ils sont venus avec beaucoup de retard, nous étions presque venus à bout de l’incendie. Depuis lors, nous préférons faire avec les moyens du bord.» En redoutant le pire.