Alors que la vaccination contre le Covid-19 démarre dans la plupart des pays occidentaux, les pays africains, touchés de plein fouet par la deuxième vague épidémique, se préparent également pour leurs propres campagnes. Un défi à plusieurs titres.
La course à la vaccination est lancée. Alors que la plupart des pays développés ont démarré leurs campagnes en s’appuyant sur les premiers vaccins disponibles, l’OMS craint un « chacun pour soi » qui pénaliserait les pays n’ayant pas les moyens de s’offrir les précieuses doses pour se protéger du Covid-19. L’Afrique, particulièrement, pourrait se retrouver à la traîne. Or, il y a urgence : l’OMS notait vendredi 8 janvier que le continent est devenu la deuxième région où la progression de la pandémie est la plus rapide lors de la première semaine de janvier (+ 19 %), derrière l’Amérique du Nord.Sélectionné pour vous :Distribution des vacci
« Le nationalisme vaccinal nuit à tout le monde », a averti vendredi le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Pour lui, les accords bilatéraux avec les groupes pharmaceutiques, signés au départ par les pays riches et désormais également par les pays à revenu intermédiaire, risquent « de faire grimper le prix » des vaccins, au détriment de tous.
Des vaccins au coût important
« Cela signifie que les personnes à risque élevé dans les pays les plus pauvres et les plus marginalisés ne recevront pas le vaccin », note-t-il, inquiet.
Début décembre, Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), réclamait d’ailleurs que l’Afrique figure parmi les premiers bénéficiaires des vaccins. « Il ne faut pas que ceux qui ont les moyens monopolisent les vaccins. Il faut que l’Afrique soit également comprise parmi ceux qui vont bénéficier dès les premiers instants de ces vaccins », soulignait-il. « Il faut d’abord que des moyens soient disponibles pour acheter ces vaccins car ils ne sont pas gratuits. »
Pour le continent africain, le premier défi est avant tout financier. Sur les 47 pays de la région Afrique de l’OMS, « seulement près du quart disposent de plans adéquats pour les ressources et le financement », regrettait début décembre l’agence onusienne qui espère vacciner « 3 % des Africains d’ici mars 2021 et 20 % d’ici la fin de l’année prochaine ».
L’OMS souhaite que les laboratoires pharmaceutiques donnent la priorité au déploiement des vaccins via le mécanisme Covax mis en place conjointement par l’OMS et l’Alliance pour les vaccins (Gavi) pour distribuer des vaccins anti-Covid aux pays défavorisés. Ce programme a passé des accords pour se procurer deux milliards de doses de vaccins et l’OMS espère livrer les premières doses dès la fin janvier. Covax doit soutenir 92 pays à revenus faibles et moyens et parmi eux plus de la moitié se trouve en Afrique.
Miser sur la Chine ou la Russie…
Trop lent pour certains pays qui préfèrent jouer la carte du bilatéralisme plutôt que d’attendre. « Les pays tentent de jouer leur propre carte en misant sur la situation géopolitique. Des pays proches de la Chine négocient avec elle pour avoir le vaccin Sinopharm. D’autres, plus proches de la Russie, tentent de faire de même avec le vaccin Spoutnik-V », note Mamady Traoré, médecin et référent vaccination et réponses aux épidémies chez Médecins Sans Frontières, joint par France 24.
Le conseiller d’État et ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a d’ailleurs achevé samedi une tournée africaine visant à réaffirmer la volonté de coopération de Pékin avec l’Afrique. Les présidents de la RD Congo et du Botswana ont remercié la Chine pour son soutien dans la lutte contre le Covid-19. De son côté, la Guinée a fait appel à la Russie.
D’autres pays, à l’instar du Kenya, de l’Afrique du Sud, du Maroc ou encore de l’Égypte, ont opté pour une stratégie différente. Ils ont négocié avec les laboratoires pharmaceutiques des essais cliniques sur leur sol.
« C’est un marché qui profite à tout le monde. Pour les entreprises, il s’agit de tester leur vaccin dans un contexte différent, sur des populations différentes. De plus, cela permet de faire grandir l’échantillon afin qu’il soit toujours plus représentatif », explique Mamady Traoré de MSF. « En échange, les pays accueillant les tests reçoivent un accès prioritaire au vaccin. »
Le Maroc a ainsi participé aux essais de phase III du vaccin Sinopharm, dernière phase avant une possible homologation. En contrepartie, le pays aura un accès prioritaire à dix millions de doses. Le royaume espère commencer sa campagne de vaccination d’ici début février.
« Pour le Maroc, il y aussi l’ambition d’un transfert de technologie afin de pouvoir fabriquer le vaccin par la suite. C’est une stratégie intéressante », note le médecin.
Un défi logistique
Se procurer le vaccin n’est pas le seul défi auquel font face les pays d’Afrique. Les vaccins actuellement inoculés en Europe ou aux États-Unis, ceux de Pfizer/BioNTech et de Moderna, utilisent la technologie novatrice reposant sur l’ARN messager et nécessite un stockage à très basse température : -70 degrés pour le premier, -20 pour le second. Ce qui représente un véritable casse-tête logistique pour le distribuer, encore plus dans des régions isolées ou sous des chaleurs tropicales.
« Pour certains pays et certains segments de la population, c’est bien sûr possible mais c’est très difficile. Nous avons été dans des endroits où, pour le transport, le dernier kilomètre se fait à l’arrière d’une moto », explique Frederik Kristensen, le numéro deux de la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), à l’AFP.
« Le vaccin de Pfizer/BioNTech n’est pas adapté au contexte africain. Vu les problèmes d’infrastructures en Afrique, il est impossible de stocker les vaccins aux températures requises », souligne Mamady Traoré, qui attend davantage d’autres vaccins, à commencer par celui du laboratoire AstraZeneca.
Si son efficacité est inférieure (62 %) à celles des vaccins de Moderna (94 %) et de Pfizer (95 %), le produit d’AstraZeneca présente deux avantages majeurs pour les pays africains : sa température de stockage se situe entre 2 et 8 degrés et les doses sont beaucoup moins chères, entre deux et trois dollars par injection contre 25 au minimum pour les deux autres.
Les Africains plutôt réceptifs à la vaccination
Reste à convaincre les Africains de recevoir des injections alors qu’une vague de défiance envers les vaccins déferle sur la planète. Bonne nouvelle : l’Afrique serait relativement épargnée. Selon une enquête menée par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) et publiée mi-décembre, « 79 % en moyenne » des personnes interrogées se feraient vacciner contre le nouveau coronavirus si le vaccin était jugé « sûr et efficace ».
L’étude, menée en partenariat avec la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM), a été réalisée entre août et décembre 2020 auprès de plus de 15 000 personnes âgées de 18 ans et plus dans une quinzaine de pays africains : Afrique du Sud, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Éthiopie, Gabon, Kenya, Malawi, Maroc, Niger, Nigeria, Sénégal, Soudan,Tunisie et Ouganda.
Le petit archipel des Seychelles a donné le coup d’envoi, dimanche 10 janvier, en devenant le premier pays africain à commencer à vacciner sa population. Le gouvernement local ambitionne de protéger ses 95 000 citoyens avec le vaccin chinois Sinopharm.