On a connu le « made in China », mais de plus en plus, les produits d’origine turque communément appelés « bagassou Turquie » bousculent sérieusement l’ordre établi. Des commerçants sénégalais, pour diverses raisons, commencent à s’approvisionner à partir de cette nouvelle destination.
Reportage : Oumar FÉDIOR
Sur les réseaux sociaux, difficile d’ouvrir une page Facebook, Instagram ou les statuts Whatsapp sans tomber sur une annonce de vente de produits venant de la Turquie. Des vêtements aux produits cosmétiques en passant par les téléphones, on y voit du tout. Si la vente d’articles importés n’est pas une nouveauté, leur lieu d’origine l’est. Jusqu’ici, ces produits venaient essentiellement de la Chine et, dans une moindre mesure, de Dubaï. Mais, de plus en plus, la Turquie attire les commerçants.
Selon Mme Sèye, très active sur les réseaux sociaux, c’est avec la pandémie de la Covid-19 que l’axe Sénégal-Turquie a connu un regain d’intérêt. Commerciale dans une entreprise parapublique, elle est très au fait du business. « Avec la Turquie, dit-elle, en quatre jours, on reçoit les bagages si c’est avec le fret. Avec les Gp (Gratuité partielle ou covalisage), c’est moins de deux jours ». Alors que pour des bagages importés de Chine, il faut, selon la dame, au moins un mois avant de recevoir sa marchandise.
Fallou Sarr, lui, tient une boutique au Centre commercial Touba Sandaga. Il y vend des vêtements de femmes. Ici, les articles sont soigneusement rangés sous une lumière bleuâtre. Très imprégné des réalités du marché chinois qu’il a fréquenté à plusieurs reprises, Fallou s’est rabattu sur la destination turque. « J’allais souvent en Chine chercher des bagages. C’était intéressant, mais depuis que j’ai eu des attaches dans le marché turc, je ne me déplace plus », dit-il. Avec des contacts sur place, il suffit désormais de passer commande et de recevoir ses produits en un temps record.
La magie des réseaux sociaux
Si aujourd’hui l’axe Dakar-Istanbul est devenu si huilé, la magie des réseaux sociaux n’y est pas étrangère. Selon Marème Sy Thiaw, spécialisée dans la vente de vêtements de femmes, tout se passe sur Whatsapp. « Il suffit d’avoir des photos d’articles tendance et les mettre en statut avant même d’en disposer. Il faut juste s’assurer que les produits sont disponibles sur le marché turc. À partir de là, les intéressés se signalent. On exige une avance d’au moins 50 %, le reste est à payer au moment de la livraison. C’est à ce moment qu’on passe la commande avec tous les détails, taille, couleur… », Explique-t-elle. La magie des réseaux sociaux ne s’arrête pas là ; sur place, par exemple, le relais partage en temps réel le circuit d’expédition de la commande. De la pesée à la mise en fret, tout est pris en image et envoyé à temps réel.
Un des précurseurs de cette nouvelle forme de commerce, Mme Fatima Dia, basée à la Cité Fadia, a des entrées à Dubaï, en Chine et en Turquie, alors qu’elle n’a jamais mis les pieds dans ces pays. « C’est sur Internet que j’ai découvert presque tous mes fournisseurs. Au début, je me limitais à la sous-région. C’est par la suite que j’ai commencé avec Dubaï, mais les produits n’étaient pas aussi variés. En même temps, j’importais des marchandises de la Chine. Mais, depuis que les gens ont commencé à prendre d’assaut le marché turc, je n’ai pas hésité », explique-t-elle. Aujourd’hui, en plus d’importer, elle fournit des marchandises aux revendeurs. L’une des principales raisons de la ruée vers le marché turc est à chercher dans la facilité de l’envoi des produits. Selon Mme Sèye, le kilogramme de marchandises est expédié à raison de 3550 FCfa. Un prix qui peut légèrement augmenter selon la période ou la compagnie aérienne.
Question de qualité
Si diverses raisons sont avancées pour expliquer l’intérêt des commerçants pour le marché turc, Fallou Sarr estime que la principale, c’est le cliché que certains ont fini de coller aux produits chinois. Dans l’inconscient des Sénégalais, dit-il, un produit chinois, c’est de qualité inférieure, pour ne pas dire du toc. « Or dans le marché chinois, il y a différentes qualités. On peut y trouver du tout : des articles de grande qualité, de qualité moyenne ou inférieure. C’est aux clients de faire leur choix. Maintenant concernant les articles venant de Turquie, en tout cas les premiers à inonder le marché, ils sont de qualité. Alors, tout le monde s’est rué vers la Turquie », explique celui qui importe des articles depuis plus de 10 ans. Pour Fatima Dia, la réalité est tout autre, « le marché chinois vend des produits de qualité, mais celle supérieure, on ne peut pas l’obtenir à certains prix ».
Gare à la surenchère
Face à l’accessibilité du marché et à la diversité des produits, beaucoup se sont lancés dans l’activité commerciale. Pour Mme Dia, les gens qui n’ont jamais fait de commerce viennent de partout. Même si le marché est assez ouvert et porteur, cette ruée risque de porter un sacré coup au business. « Les commandes pleuvent, les commerçants turcs s’en frottent les mains. Mais aujourd’hui, le marché commence à se dégrader. Des produits de qualité douteuse commencent à l’inonder. Les novices ne s’en rendent pas compte, mais la bulle va exploser très bientôt », alerte-t-elle. Pire, dit-elle, il y a même des commerçants qui importent des produits de qualité inférieure de Chine, beaucoup moins chers, et font croire à leurs clients qu’ils viennent de Turquie.
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GESTION DES COMMANDES ET ENVOI PAR FRET
Des Sénégalais établis en Turquie font recette dans le courtage
Pour se procurer des marchandises en Turquie, pas besoin de prendre l’avion. À partir de chez soi, on peut prendre les attaches de personnes très au fait du secteur commercial turc. Des Sénégalais installés à Istanbul en ont fait une activité. Selon Mme Seye qui vend divers articles, c’est à partir de Dakar qu’elle prépare ses commandes. Une fois la liste bouclée, elle l’envoie à son partenaire. « Il peut prendre une journée à faire le tour des marchés. Parfois, les articles commandés ne sont pas disponibles. Il me donne l’information à temps réel et j’en parle à mon client. Cela peut lui prendre une journée. Dans ce cas, on peut payer jusqu’à 50 000 FCfa. Maintenant s’il s’agit de quelques articles, c’est moins cher. Mais, il y en a qui en ont fait leur principale activité », révèle-t-elle.
Mme Fatima Dia, elle, n’a jamais mis les pays dans un pays étranger, mais la dame distribue même aux revendeurs. « J’ai des relais sur place. Seulement, il faut qu’ils soient des personnes de confiance parce que le marché est actuellement envahi par des Syriens qui vendent des produits de qualité vraiment inférieure. Donc, il est important que le relais soit crédible et connaisse bien le marché turc », dit-elle.
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Le « made in China » fait de la résistance à Sandaga et au Centenaire
En cette matinée de samedi, le climat est assez agréable. Le temps est frisquet au rond-point Sandaga où, curieusement, ce n’est pas la grande affluence. Même les embouteillages, jadis partie intégrante du décor, ont provisoirement disparu. Derrière les cantines qui jouxtent l’allée principale, se trouve « roukhou disquette » ou le coin des jeunes filles. Ici, les articles de femmes occupent l’essentiel des échoppes et des étals. « Tout le monde s’intéresse aux produits turcs. C’est vrai, mais pour ceux qui vendent en quantité, le marché chinois est beaucoup plus avantageux. D’abord, les marchandises coûtent beaucoup moins cher. Le seul hic, c’est qu’avec le transport par conteneur, il faut presque un mois ou plus pour les réceptionner. Mais, un commerçant qui a sa boutique peut le supporter, contrairement à celui qui vend sur commande », Talla Fall.
Fallou Sarr, lui, préfère ratisser large. Tous les produits sont les bienvenus à ses yeux ; le plus important est que les clients achètent. « Pour les vêtements de femmes que j’expose dans ma boutique, l’essentiel vient de la Chine. Maintenant pour ce qui est des tenues de sport et autres, je commande depuis la Turquie », précise-t-il.
Selon lui, la forte percée des produits turcs a même fait l’affaire de ceux qui ne vendent que des produits chinois. « J’en connais beaucoup qui déclarent vendre des produits turcs alors que nous prenons nos commandes du même conteneur en provenance de Turquie », révèle Fallou. Aux allées du Centenaire, fief des boutiques chinoises à Dakar, on n’est pas encore effrayé par les produits turcs. S’il est difficile de faire parler les Chinois, certains collaborateurs glissent quand même quelques mots. « C’est un marché assez large. Il y a de la place pour tout le monde. Aujourd’hui, tout le monde est vendeur. Avec les smartphones, on n’a presque pas besoin de boutique. Personnellement, nous n’avons pas ressenti la concurrence des produits turcs. Au contraire, je pense que la vente en ligne est en train de booster nos ventes. En discutant avec certains clients, je me rends compte qu’il y a un bon nombre qui vend en ligne. C’est un nouveau créneau qui nous intéresse », dit Mbaye Dondé, faisant office d’intermédiaire dans un magasin. Pour dire que le « made in China » fait bien de la résistance.
« Le SOLEIL »