Le décompte macabre de jeunes candidats à l’émigration clandestine qui reposent au fond de l’Atlantique se poursuit, les appels des guides religieux, les comptes-rendus glaçants des médias peinent à freiner l’exode suicidaire vers l’Europe. Les échos macabres résonnent dans le vide. Après chaque drame, on cherche des boucs émissaires, l’État étant désigné toujours comme l’unique fautif, coupable de n’avoir pas offert des opportunités à ces jeunes. La complexité du problème de l’émigration clandestine mérite une réflexion profonde, avec lucidité et sans passions. Le terreau fertile sur lequel poussent les germes de ce fléau des temps modernes a été bien préparé par notre société. Dans notre avant-dernière chronique (voir le Soleil du 4 novembre), nous écrivons que «les pesanteurs sociales notamment la pression familiale, sont telles qu’il est difficile d’entreprendre sous nos cieux».
Entreprendre suppose un capital initial pour se lancer dans les affaires. Or, on reproche souvent –à tort– à l’Etat (qui a pourtant créé des structures telles que la Der dans ce sens) de ne pas financer les porteurs de projet. Et pourtant, à y regarder de très près, c’est grâce à un pactole non négligeable que ces jeunes se paient le prix de la traversée de l’océan. Un pactole souvent rassemblé avec l’aide de toute la famille, comme cette mère qui pour rassembler les 400.000 FCfa exigés à son fils en partance pour l’Espagne, déclare avoir vendu tous ses bijoux et réclamé sa part d’une tontine. «Je lui ai tout donné puis il est parti», poursuit Khady Mbaye.
De jeunes entrepreneurs se sont lancés dans les affaires avec moins que ça et on s’explique mal que d’autres préfèrent s’exiler au lieu d’investir leurs fonds sur place. Cela pose la problématique de l’esprit d’entrepreneuriat qui semble faire défaut ici, la plupart des Sénégalais préférant attendre que l’État leur trouve un boulot au lieu de lancer et développer leur projet et de créer des emplois. Les opportunités d’investissement ne manquent pas, comme le soutenait le secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf), Habib Ndao, les nombreux problèmes de nos pays sont autant d’opportunités pour un entrepreneur qui sait observer. L’homme a même donné l’exemple du problème des ordures dans les villes qui pouvait être solutionné par des initiatives privées.
Mais, faudrait-il d’abord s’armer de motivation, «entreprendre, c’est vous donner la possibilité de réussir. Et comment réussir si on n’essaye pas ?», s’interroge Ibrahima Théo Lam dans son ouvrage «Entreprendre en Afrique : Les clefs de la réussite». «Entreprendre, c’est sortir du monde de la peur et de l’intimidation pour entrer dans celui du courage et de la persévérance», ajoute-t-il. Ce n’est pas une mince affaire, car l’audace d’entreprendre se heurte très souvent à nos réalités sociales. Nos rêves sont souvent tués par nos propres familles et entourage (amis) qui freinent nos ambitions. Un entrepreneur jeune prometteur a toute les chances de subir le diktat de la solidarité familiale pour employer un proche qui, parfois, n’a pas le bon profil, ou bien pour venir à la rescousse face à des dépenses de prestige (baptêmes et autres cérémonies). Alors que le capital humain est déterminant dans l’univers entrepreneurial.
C’est d’ailleurs conscients que la société ne les laissera pas éclore leur business sans les solliciter, que certains jeunes trouvent le salut en prenant le large. L’autre facteur bloquant à l’auto-emploi, c’est la fascination des diplômes pourtant relativisée par la réussite de beaucoup de self-made-men qui n’ont pas fait l’école. Les épreuves de la vie ont forgé la plupart de nos milliardaires, motivés simplement par le désir réussir. Aujourd’hui, l’État a mis en place des structures d’encadrement et de financement du jeune entrepreneur (Adepme, Der), mais le plus grand défi, c’est comment les persuader que l’avenir peut se construire chez soi. Pour cela, il faudra plus que déconstruire le mythe de l’eldorado européen pour construire la foi en soi. En un mot, il s’agit d’oser.