Le Mali, troisième producteur africain d’or, a décidé en 2017 de se doter d’une industrie pétrolière tout aussi dynamique que l’industrie minière, sa principale pourvoyeuse de devises. Il faut savoir que le secteur connaissait déjà un certain développement, quoique timide, quelques années plus tôt, avant que les activités ne soient bloquées en 2012, en raison du conflit armé dans le nord du pays, le principal bassin pétrolier. Quelles sont les chances du Mali d’atteindre cet objectif, étant donné que les tensions dans le nord sont toujours aussi vives ? Décryptage.
Contexte
Les premières campagnes d’exploration de pétrole au Mali ont démarré juste après les indépendances, au cours des années 1960, notamment avec des levés aériens comme première étape.
Carte « Les Echos » (2017)
Les travaux ont avancé timidement et, en 20 ans, environ 9000 km2 de données sismiques 2D ont été relevés, à travers quatre grandes zones : le bassin de Taoudéni, la fosse de Nara, le bassin de Tamesna et le Gao Graben. En 1983, Exxon Mobil a déclaré le bassin de Taoudéni comme étant le plus intéressant du Mali. De nombreuses perspectives pétrolières y ont notamment été détectées.
En 1983, Exxon Mobil a déclaré le bassin de Taoudéni comme étant le plus intéressant du Mali. De nombreuses perspectives pétrolières y ont notamment été détectées.
Dans les autres régions pétrolières, les résultats étaient loin d’être aussi satisfaisants. Cependant, le pays reste globalement largement inexploré en matière de potentialités pétrolières et gazières, estiment des analystes. Au total, seulement cinq puits d’exploration y ont été forés depuis. Du point de vue de l’industrie, c’est même l’aspect inexploré du pays qui lui donne du poids, car le potentiel pétrolier et gazier détecté lors des campagnes précédentes est très prometteur.
Fondamentalement, on suppose toujours que le pays serait en mesure de produire du pétrole et du gaz à des fins commerciales. D’autre part, les études récentes montrent des formations géologiques très similaires aux formations pétrolières de pays comme l’Algérie, le Tchad et le Soudan.
Depuis 2004 et l’adoption d’un code pétrolier, ainsi que le découpage des zones explorables en 29 blocs pour 700 000 km2, on compte une quinzaine de compagnies étrangères qui se partagent les domaines, sous la forme d’un contrat de partage de production. Parmi elles, on compte la société australienne Baraka Energy, la Sonatrach (Algérie), Heritage Oil (Qatar) ou encore Statoil (Norvège).
Depuis 2004, une quinzaine de compagnies étrangères se partagent les domaines d’exploration.
Taoudéni, le grand
Le bassin de Taoudéni est essentiellement une dépression centrée sur le nord du Mali, comprenant deux méga-séquences. La plus ancienne s’étend du Protérozoïque tardif au Paléozoïque précoce. Elle est composée de carbonates marins peu profonds et de schistes noirs inter-stratifiés. Avec ses 14 blocs, il s’étend de la Mauritanie au Mali, en passant par l’Algérie. C’est aussi le plus grand bassin sédimentaire du Nord-Ouest de l’Afrique. C’est en outre, l’un des plus grands bassins du Paléozoïque précoce en Afrique, avec des épaisseurs de sédiments de plus de 5000 m par endroits.
En 2006, une évaluation indépendante de son potentiel, menée par le consultant RPS Energy, a montré que les cinq blocs détenus par la société Baraka Petroleum pourraient abriter jusqu’à 645 millions de barils d’huile et 9 Tcf de gaz naturel. Ce potentiel gazier, tout aussi important que celui de la zone de Muzarabani au Zimbabwe, ferait de la zone, l’une des régions les plus prolifiques en gaz naturel du continent africain. Des géologues ont, par ailleurs, noté des similitudes entre les provinces riches en pétrole d’Algérie, du Niger, du Soudan et de la Libye et le bassin de Taoudéni.
Ce potentiel gazier ferait de la zone, l’une des régions les plus prolifiques en gaz naturel du continent africain.
Entre 1974 et 1982, les programmes de forage exécutés dans la zone de Taoudéni ont permis de prélever des schistes noirs infracambriens riches en matière organique, avec un contenu organique total (COT) allant jusqu’à 20 %. Cela signifie que la zone est aussi potentiellement un important réceptacle pour d’immenses gisements de gaz de schiste.
Un potentiel en péril
Si le nord du Mali présente un potentiel pétrolier vanté par l’industrie, c’est aussi, pour elle, l’une des régions les plus dangereuses pour l’exploration pétrolière. En effet, depuis plusieurs années, la région est contrôlée par de nombreux groupes djihadistes qui y opèrent. Leur contrôle couvre surtout les zones pétrolières évoquées ci-haut. Ces groupes ont une grande influence sur les populations locales et donc une plus grande permanence dans la région. Cela est dû en partie au fait qu’ils suppléent le gouvernement malien dont l’administration est défaillante dans certaines régions. Ainsi, depuis 8 ans, deux importants pôles aux idéaux opposés se partagent le contrôle de la région : la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
La CMA est un mouvement laïc qui s’oppose à la marginalisation du nord du Mali. C’est une coalition de groupes armés qui s’est constituée après la rébellion de 2012.
Le CMA est une coalition de groupes armés qui s’est constituée après la rébellion de 2012.
Le groupe a participé aux accords de paix d’Alger de mai 2015 qui ont tenté de mettre fin à la guerre civile qui a duré trois ans au Mali. A travers ces discussions, la CMA a demandé que 20% de la production énergétique et minérale de la région soit réinvesti dans le nord du Mali.
A travers ces discussions, la CMA a demandé que 20% de la production énergétique et minérale de la région soit réinvesti dans le nord du Mali.
En revanche, AQMI espère rétablir le Maghreb islamique et gouverner la région comme le faisaient les califats médiévaux. Pour atteindre cet objectif, le groupe a attaqué le 20 novembre 2015, des symboles occidentaux comme l’hôtel Radisson Blu à Bamako, faisant une vingtaine de morts. Il a, depuis lors, multiplié les attaques et la région est devenue hors de contrôle pour le gouvernement, malgré l’arrivée depuis janvier 2013 des forces françaises pour aider les forces maliennes à contenir l’avancée du djihadisme.
Ces groupes rendent quasiment impossibles des campagnes de forage et de développement dans la zone. Tout porte à croire que le terrorisme dans le nord du Mali est encore loin d’être éradiqué. Par conséquent, le pays risque de ne pas profiter de sitôt de ses potentielles ressources en hydrocarbures. Peut-être même jamais, au vu de l’émergence de technologies alternatives au pétrole, moins dommageables pour le climat.
Olivier de Souza