Asphyxiée économiquement depuis plusieurs mois, Gorée a renoué avec les bains de foule. Avec le retour des visiteurs et de quelques touristes à la faveur de la reprise de la liaison maritime, restaurateurs et hôteliers surfent sur les vagues de l’espoir. Quant aux guides touristiques et artisans, ils espèrent bientôt sortir la tête de l’eau, à condition que les touristes « tombent à flot ».
Gorée s’est, à nouveau, ouverte au monde. Pendant près de sept mois, l’île n’était qu’aux insulaires à cause des mesures restrictives de lutte contre la Covid-19. En ce mercredi 4 novembre, 23ème jour après la reprise de la liaison maritime, l’affluence est grande à l’embarcadère. À 9 heures 05 minutes, les premiers voyageurs sont déjà installés sur l’espace d’accueil. Certains profitent des minutes d’attente pour sympathiser, discuter et rigoler, d’autres grignotent pains, bonbons et fruits. Démarche rassurée, bébé sur les bras, une dame à ses côtés, un homme d’une forte corpulence rejoint le lieu de départ. Debout, il s’imprègne des modalités du voyage auprès de deux femmes. Doigts pointés vers le guichetier, ces dernières lui signifient que « la prochaine chaloupe devrait quitter à 10 heures 30 minutes ». Le petit groupe prend place en attendant le top départ.
Pendant ce temps, l’un des préposés à la sécurité s’essaie difficilement à l’anglais avec une touriste d’origine américaine habillée d’une petite culotte noire et d’un crop top. La fille au teint caramel, nez percé, est à la recherche d’un guichet automatique de banque avant l’embarquement. Elle n’aura pas le temps de faire la transaction. L’ordre du départ est donné et la foule afflue vers la chaloupe « Beer ». La traversée dure une vingtaine de minutes. À l’accostage sur le ponton, les voyageurs, pressés de poser les pieds sur cette terre d’histoire, site touristique, sont accueillis par un conglomérat d’artistes. Tam-tams et djembés sont mis à contribution pour « souhaiter la bienvenue aux hôtes de l’île ». Visages rayonnants, ces derniers distribuent des gestes de sympathie en signe de reconnaissance.
Des retrouvailles
Gorée revit après plusieurs mois d’isolement. Sous un climat caniculaire, la ville baigne dans une ambiance grouillante. Des enfants rigolent et courent sur le sable fin sans gêner les couples couchés à côté sur de petites nattes, profitant du bain de soleil. De temps en temps, ils s’offrent une petite plongée dans une mer calme et douce. Installée sous une tente, Angel se délecte de ce joli cadre. Son regard perçant photographie l’architecture pittoresque des bâtiments, l’ambiance autour des restaurants et les mouvements de la chaloupe. Du grand bonheur pour la résidente de Fann Hock, Goréenne de cœur, restée des mois sans visiter l’île. « Avec la Covid-19, nous sommes restés longtemps sans venir à Gorée alors que nous avions l’habitude d’y être chaque mois. Nous sommes tous ravis de constater la grande affluence. Le tourisme revit, Gorée continuera d’attirer, j’en suis sûr, car c’est un endroit fantastique. Ce sont de belles retrouvailles », commente-t-elle, joviale et jolie dans son bikini rouge.
À quelques pas, Abdoulaye, en culotte et sous vêtement, a fini de savourer un plat de « yassa au poisson ». Son camarade assis côté se laisse aller à des commentaires sur l’appétit débordant de son ami et voisin de Sicap Karack. « Tu as tout dégagé, tu devais avoir faim », raille-t-il. Les deux jeunes mêlent leurs rires. C’est après un arrêt des cours à 11 heures que ces étudiants sont venus passer du bon temps. De belles retrouvailles avec l’île qu’ils fréquentent depuis quelques années. « Gorée nous avait manqué. Nous y passions des moments merveilleux entre amis. C’est un plaisir de retrouver la belle plage et la saveur des grillades », souffle Abdoulaye.
Ouf de soulagement pour restaurateurs et hôteliers
La fermeture de l’île de Gorée aux visiteurs avait mis à terre son économie. Durant sept mois, restaurants et réceptifs hôteliers avaient cessé toute activité. La levée des mesures restrictives, effective depuis le 10 octobre dernier, constitue pour eux une grande bouffée d’oxygène. Sur les 15 restaurants, les 9 ont ouvert leurs portes et accueillent les clients depuis quelques semaines. C’est le cas de Djibril Seck. Élégant dans sa veste rouge et blanche, les yeux cachés derrière des lunettes noires, le bonhomme de forte corpulence explique à des clients de nationalité étrangère le mode d’application d’une machine de lavage des mains. Pendant ce temps, une dizaine de touristes sont déjà à table sur la terrasse du restaurant. Ils raffolent de la grillade et de la sauce européenne dans une ambiance détendue faite de rires et discussions à haute voix. D’une belle intonation, Djibril n’hésite pas à aborder les passants. « Voulez vous boire ou manger quelque chose », demande-t-il. La relance économique constituait, selon lui, une demande naturelle, car, dit-il, 90 % de l’activité repose sur le tourisme. « Restaurants et hôtels étaient tous fermés. Tout était à l’arrêt à Gorée. Aujourd’hui, la majorité de ces établissements sont en activité, la clientèle vient tous les jours, notamment le week-end. Les finances s’améliorent. Avec les entrées, nous parvenons à gérer les charges ; ce qui était impossible il y a quelques mois », explique le président des restaurateurs, Djibril Seck. À l’en croire, ce début sur un petit rythme est aussi constaté chez les réceptifs hôteliers. « Les clients viennent depuis la reprise, mais c’est incomparable à une saison touristique pleine ». Ses propos font écho à ceux de M. Mendy. Ce gérant d’un réceptif parle de reprise « timide » pour les hôtels. « Reprendre les activités, c’est déjà une bonne chose. Avec le temps, nous pensons que les chiffres vont monter, car l’île commence à accueillir du monde », confie-t-il.
Demba DIENG
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Guides touristiques et artisans s’attendent à des lendemains qui chantent
La Covid-19 avait retenu les touristes chez eux et envoyé au chômage guides touristiques et artisans. Avec la tendance baissière de la maladie au Sénégal, les activités commerciales ont repris à Gorée. Le marché artisanal qui fait face à la Place du Gouvernement a rouvert ses portes. Parmi les commerçantes, Marie Ngom, assise sous un imposant arbre. Le doigt collé à l’écran, elle est concentrée sur un jeu. De temps en temps, elle jette un œil sur sa marchandise constituée en particulier de robes multicolores, de colliers et de chapeaux en pagne tissé. Depuis le petit matin, la dame en robe rouge n’a reçu qu’un seul client. Selon elle, ce sont les conséquences de la Covid-19. « C’est difficile de recevoir plus de deux clients. Depuis la reprise, les clients viennent au compte goutte. L’activité est toujours au ralenti, mais c’est mieux que rien. Avec la tendance baissière de la maladie, nous nous attendons à des lendemains meilleurs », dit-elle. Même complainte pour Aminata Fall. Avenante et sens de l’humour débordant, la fille assise au milieu de ses camarades vendeuses d’objets d’art oriente les débats. Tantôt elle parle de la situation économique difficile, tantôt elle commente l’élection présidentielle américaine avec un penchant pour Joe Biden. Revenant sur le commerce d’objets d’art, Aminata déplore une timide reprise des activités. « Les touristes ne viennent pas comme avant. Il n’y a que les résidents de Dakar. On ne fait pas de bonnes affaires pour le moment, car les clients se font rares. Peut-être que d’ici quelques semaines, la situation va s’améliorer », lâche-t-elle. L’activité a également repris pour les guides touristiques. Une très bonne nouvelle pour le président du Collectif, Cheikh Tidiane Kaïré, et ses camarades. Chemise verte, casquette sur le chef, l’acteur touristique apprécie cette relance économique. « Nous recevons, tous les jours, des touristes. Nous sommes heureux de retrouver notre gagne-pain. L’arrêt des activités a été durement ressenti », dit-il, espérant une plus grande affluence les prochains jours.
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L’inclusion de la taxe municipale sur le prix du ticket préconisée
À Gorée, plusieurs visiteurs rechignent à payer la taxe municipale. Ce refus est souvent source de conflits entre eux et les agents. Pour régler une bonne fois ce problème, l’attaché de cabinet du maire de Gorée, Lamine Guèye, suggère d’inclure cette taxe sur le prix du billet de la chaloupe. « Les visiteurs viennent en masse, les restaurateurs y gagnent puisque les gens sont obligés de manger. La grande difficulté est le paiement de la taxe, car avec la grande affluence, on ne peut pas faire payer à tout le monde. L’idéal serait d’inclure cette taxe sur le prix du billet et le visiteur sénégalais paiera 2000 FCfa et les touristes 3500 FCfa », explique M. Guèye. À l’en croire, ces recettes qui étaient de 62 millions de FCfa l’année dernière risquent de chuter à un million de FCfa cette année à cause de la Covid-19. Président de l’Association des restaurateurs de Gorée et conseiller municipal, Djibril Seck abonde dans le même sens. Pour lui, c’est la seule solution pour mettre un terme à cette situation. « Cette taxe doit être incluse sur le prix du ticket. Le Conseil municipal l’a approuvé depuis 2016. Il faut que la mesure entre en vigueur au plus tard le 1er janvier sinon nous allons arrêter la chaloupe. C’est une nécessité pour la ville de Gorée », insiste Djibril Seck.
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AUGUSTIN SENGHOR, MAIRE DE GORÉE
« Nous travaillons pour un tourisme de mémoire proactive »
La Covid-19 est riche en enseignements, selon le maire de Gorée, Me Augustin Senghor. D’après lui, la pandémie force à plus d’organisation et de discipline pour attirer un plus grand nombre de touristes. « Avec la Covid-19, il y a eu une remise en question de tous les Goréens. Nous sommes, aujourd’hui, conscients des enjeux », déclare Me Senghor. À ses yeux, il va falloir accélérer la conception du circuit de présentation de l’île puisque celui en vigueur date de 2000. L’autre orientation majeure pour le développement touristique et économique de Gorée est la promotion du tourisme de « mémoire proactive » à travers les musées, une Maison des esclaves refaite et revitalisée, la place de la « Liberté et de la Dignité humaine » ainsi que le Centre de documentation « qui vont donner du contenu à ce qui se dit ».