Alors que beaucoup au sein de la communauté se sont progressivement éloignés du Parti républicain au cours des deux dernières décennies, certains sont de fervents partisans du président actuel.
OLJ / Par Soulayma MARDAM BEY
Le président américain Donald Trump danse à la fin d’un évènement de campagne organisé à l’aérodrome d’Eppley à Omaha, dans le Nebraska, aux États-Unis, le 27 octobre 2020. Jonathan Ernst/Reuters
C’était il y a 20 ans. Le 11 septembre n’avait pas encore eu lieu et l’islam ne faisait pas peur, à plus forte raison dans un pays se voulant le temple de la liberté de conscience, et où la question de la foi et de son expression ne pose pas de problème outre mesure. Dans l’État du Michigan, là où la communauté arabe américaine est la plus importante, le candidat républicain George W. Bush, alors en course pour la présidentielle, ressortait perdant mais pouvait s’enorgueillir d’avoir récolté près de 72 % du vote arabe local. Rien d’étonnant à première vue venant d’une communauté que l’on disait libérale économiquement et conservatrice socialement. Rien d’étonnant non plus si l’on prend en compte le fait que les Arabes américains sont, en général, plus aisés que la moyenne nationale. Historiquement chrétienne dans sa majorité, la communauté a par ailleurs longtemps été assimilée aux « Blancs », du fait de l’absence dans le recensement national d’une catégorie spécifique pour les populations venues du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, arabes ou pas.
Mais tout ceci semble à maints égards relever aujourd’hui d’une autre époque. Entre-temps, la multiplication des attentats commis au nom de l’islam aux États-Unis et dans le monde, leur amalgamation à des problématiques de politique étrangère, telles que le conflit israélo-palestinien, les guerres d’Irak et d’Afghanistan, la suspicion envers les musulmans réels ou supposés et la confusion entre arabité et islamité ont tôt fait de changer la donne.
« Ils roulent pour les démocrates »
En 2016, le discours du candidat républicain Donald Trump a été perçu par de larges pans au sein des minorités arabes comme « raciste » et « islamophobe », permettant aux démocrates de conserver une large avance. Résultat des courses, 60 % donnent leurs voix à Hillary Clinton – incarnation de l’establishment politique – contre 26 % au trublion antisystème. La politique menée par M. Trump ces quatre dernières années – avec notamment la restriction drastique de l’immigration issue de pays à majorité musulmane – pourrait, d’après certains commentateurs, accroître davantage le fossé le 3 novembre prochain, date de l’élection présidentielle. Les chiffres actuels témoignent toutefois d’une réalité plus nuancée. Selon un sondage réalisé par le Arab American Institute (AAI) durant la deuxième semaine d’octobre, près de 59 % des personnes interrogées se déclarent favorables à Joe Biden – candidat démocrate et ancien vice-président sous l’administration Obama – contre 35 % à Donald Trump. Une préférence nette pour le premier, mais un score non négligeable pour le second, s’expliquant entre autres par la popularité du chef d’État auprès de ceux qui s’identifient comme républicains et qui avaient, en 2016, choisi la candidate démocrate. Les partisans de l’actuel locataire de la Maison-Blanche ont beau se faire plus discrets sur les réseaux sociaux, ils n’en restent pas moins déterminés à faire bloc derrière lui dans quelques jours.
« Je m’attends à ce que Trump gagne parce qu’il y a beaucoup de gens ici qui sont comme moi. Ils ne peuvent pas dire qu’ils le soutiennent car la majorité des médias et centres de recherche roulent pour les démocrates », explique Firas*, syrien américain opposé au régime Assad et très actif au sein de sa communauté.
Son vote, c’est la politique étrangère qui le détermine. Favorable à Mme Clinton en 2016, ses griefs à l’encontre de M. Biden sont multiples. « Il veut remettre en place l’accord sur le nucléaire, et je crains que la Syrie et le Liban en soient les dommages collatéraux », confesse-t-il. Un discours que partage Fadi Issa, 44 ans, libano-américain travaillant dans la vente et la réparation de moteurs. « J’approuve la politique iranienne de Trump à cause du Hezbollah au Liban, d’une part, et parce que, d’autre part, l’Iran est responsable de la mort de nos soldats en Irak », dit-il.Lire aussiIran : avec Biden, une rupture radicale ?
L’accord sur le nucléaire iranien fut perçu par ses soutiens comme l’un des grands succès diplomatiques de l’administration précédente. Son but était de bloquer le développement potentiel d’armes atomiques par Téhéran en restreignant ses activités nucléaires en échange d’un allègement des sanctions. Mais en 2018, Donald Trump a retiré les États-Unis de l’accord et mis en œuvre une politique dite de la « pression maximale », rétablissant dans un premier temps les mesures restrictives, avant de les renforcer. « Les républicains cherchent aussi à conclure un accord avec Téhéran, mais en des termes qui nous conviennent bien mieux et qui ne permettront pas à l’Iran de s’étendre au-delà de ses frontières », lâche Firas.
« Il ne nous a ramené que des illettrés »
Si la majorité des personnes sondées par l’AAI se disent d’abord préoccupées par la politique intérieure, ils identifient la résolution du conflit israélo-palestinien comme le sujet prioritaire en politique étrangère. Cette question fut, parmi d’autres et à moindre égard, l’une des raisons expliquant la popularité du rival de Joe Biden à la primaire démocrate, Bernie Sanders, surnommé « Amo Bernie » par ses supporters. M. Sanders avait tenu des positions favorables aux droits des Palestiniens, bien loin de celles de M. Trump, premier président à remettre en question de manière explicite la solution à deux États dans les frontières de 1967 comme solution au conflit. Pour Debbie Farah, née aux États-Unis il y a 60 ans de parents palestiniens, pas de quoi la détourner de son choix. « Nous n’obtiendrons jamais rien si nous continuons à autoriser des gens perçus comme néfastes à nous représenter. Je ne peux pas dire que j’étais heureuse du contenu du plan Kushner (le plan de paix américain pour le Proche-Orient, NDLR), mais j’y ai au moins vu du progrès », dit-elle.
Comme de nombreux Arabes américains, Debbie Farah se sent proche des valeurs familiales prônées par les républicains. Au cœur du vote, l’avortement, l’un des sujets qui divisent le plus profondément la société américaine. « Donald Trump est “pro-vie”, et je le suis aussi. Je suis absolument opposée à l’interruption volontaire de grossesse », affirme la sexagénaire.
Parce qu’ils viennent d’une région du monde où les violences commises par des groupes islamistes radicaux contre les populations sont légion, certains sont très sensibles à la rhétorique « antiterroriste » du candidat républicain et se retrouvent dans ses politiques migratoires. « L’une des raisons pour lesquelles je soutiens Trump, c’est le fait que dans toute la région, on a pu voir des terroristes tuer à tout-va, y compris des civils qui ne demandaient rien. Tout cela s’est passé au vu et au su de Barack Obama, et il n’a rien fait », accuse M. Issa.
D’aucuns pourraient souligner les contradictions apparentes entre la reconnaissance des crimes commis par les régimes en place au Moyen-Orient, ainsi que par différents milices et groupes jihadistes, et la volonté de fermer les frontières américaines aux réfugiés venus de ces pays. « Je vais vous dire une chose sur les réfugiés. Nous sommes extrêmement mécontents de la politique menée par Obama à ce sujet. Avant de quitter le pouvoir, il a ramené un grand nombre de Syriens en un laps de temps très court », fulmine Firas. Selon lui, les nouveaux arrivants ont été imposés à la communauté syrienne du pays qui a dû se charger de leur accueil et de leur intégration. « Il ne nous a ramené que des illettrés. Nous avions vraiment honte. Ils ne représentent ni notre histoire ni notre civilisation, loin de l’image que l’on veut renvoyer à la société américaine », dit-il.
« Je n’ai jamais eu de “privilèges blancs” »
L’année 2020 a été marquée par le ravivage de la question raciale dans le sillage du meurtre d’un homme noir, George Floyd, par un policier blanc américain. Cette violence a donné lieu à un vaste mouvement de protestation pour dénoncer la brutalité policière et un racisme qui, selon ses pourfendeurs, serait inhérent à toutes les structures de la société. 40 % des personnes sondées par le AAI ont déclaré que les relations raciales aux États-Unis relevaient de leur priorité absolue, devant l’emploi et l’économie, à 23 %. « Je n’ai jamais eu de “privilèges blancs” dans ma vie. Je suis une fille d’immigrés, mais piller, détruire des propriétés et tuer des policiers, c’est tout simplement intolérable », dénonce Debbie Farah, en référence à la transformation de certaines manifestations en émeutes. M. Issa, de son côté, fustige le discours de ceux qui accusent Donald Trump d’avoir accentué la fracture raciale dans le pays. « Personne n’a fait autant que lui pour les Noirs et pour les Hispaniques. Grâce à lui, beaucoup de gens ont trouvé du travail », assure-t-il. Selon les chiffres du département américain du Travail, le taux de chômage au sein de la communauté afro-américaine avait atteint 5,5 % en septembre 2019, le seuil le plus bas depuis les années 70. Mais l’impact de la pandémie liée au coronavirus affecte les Noirs de manière sensiblement supérieure au reste de la population. Si M. Trump se targue régulièrement d’avoir réduit le taux de chômage parmi les minorités, ses adversaires insistent que cette baisse avait été enclenchée sous le mandat de Barack Obama.
Au cours du mois d’août, Joe Biden a proposé un « plan de partenariat » à la communauté arabe américaine. Dans une déclaration historique, l’ancien vice-président a qualifié les Arabes américains d’ « essentiels au tissu de notre nation », ajoutant vouloir non seulement lutter contre l’hostilité antiarabe, mais également inclure des Arabes américains dans son administration. « Biden essaye de nous acheter. Mais tout ceci n’est que du bluff », conclut Firas.
*Le prénom a été modifié