Entre des tombes que l’on peine à retrouver et l’enchevêtrement des sépultures, il faut être d’une grande agilité et spécialiste des fouilles archéologiques pour pouvoir retrouver les dernières demeures de parents disparus
Sileye NGUETTE
Se recueillir sur la tombe d’un proche au cimetière musulman de Yoff relève d’un véritable parcours du combattant. Entre des tombes que l’on peine à retrouver et l’enchevêtrement des sépultures, il faut être d’une grande agilité et spécialiste des fouilles archéologiques — on exagère à peine ! — pour pouvoir retrouver les dernières demeures de parents disparus. Naturellement, face à cette situation, les personnes âgées ou handicapées sont exclues.
L’alerte
Huit années sont passées depuis que la cote d’alerte a été atteinte au niveau du cimetière musulman de Yoff. En effet, c’est en 2012 que le gestionnaire avait indiqué que le seul cimetière musulman de la capitale avait atteint presque les 4/5 de sa capacité. Il prévenait qu’ « au rythme où vont les choses, dans dix ans, il ne sera plus possible d’enterrer des morts dans ce cimetière. Il ne reste que les dernières sections à exploiter » prévenait-il, alarmiste. Huit ans après, ce terrible scénario ne semble plus d’actualité dans ce lieu ouvert en 1974 pour prendre le relais du cimetière de soumbédioune ou « Abattoirs », définitivement fermé. d’espaces, le cimetière de Yoff en dispose encore contrairement à beaucoup d’autres de la capitale qui ont atteint leur seuil critique.
Parcours du combattant
Il est 10 heures. de nombreuses voitures sont stationnées sur le grand parking. Au niveau de la mosquée de ce cimetière, des personnes attendent l’arrivée de la dépouille d’un parent. Un matériel de lavage des mains, covid-19 oblige, est disponible à l’entrée. La grande porte franchie, nous sommes dans la dernière demeure des hommes après une vie sur terre qui a pu être longue ou courte, bien remplie ou inutile. dans ce cimetière, on peut discuter du sens selon lequel tous les hommes sont égaux face à la mort. En tout cas, certaines personnes reposent dans des mausolées sur lesquels de sans-abris ne cracheraient pas, tellement ils sont luxueux car bâtis avec du marbre de qualité.
Une foule immense nous rejoint dans une des allées du cimetière. Vieux, adultes et jeunes essaient de rejoindre le trou où doit reposer leur mort. de loin, on aperçoit des gens s’exercer à de véritables acrobaties en sautant d’une tombe à une autre. Certains, sans s’en rendre compte, marchent même sur des sépultures. Il faut faire attention pour ne pas se blesser avec les nombreuses tombes surmontées de tableaux en fer pour identifier les défunts qui y reposent. des tableaux la plupart du temps rouillés et qui occasionnent souvent des blessures aux visiteurs, s’ils ne déchirent pas leurs habits. se mouvoir dans ce cimetière est un véritable parcours du combattant. difficile d’accéder à certaines tombes car la plupart sont enchevêtrées de manière inextricable, si elles ne sont pas superposées.
Pour circuler dans ce capharnaüm, il faut souvent faire des acrobaties dignes d’un athlète. Avec les nombreuses constructions irrégulières, les mausolées dignes de palais, c’est tout naturellement que l’espace encore disponible dans ce cimetière se rétrécit comme peau de chagrin. L’anarchie fait que certaines personnes peinent à retrouver les tombes de leurs défunts. C’est le cas de ce jeune homme du nom de Malick ba rencontré sur les lieux. Tout essoufflé, transpirant énormément à cause de la forte chaleur, il est obligé de se mettre à l’ombre d’un arbre sur le muret d’une tombe. « Cela fait un moment que je suis à la recherche de la tombe de ma tante. Non seulement, il y a beaucoup d’herbe, mais également il y a beaucoup de constructions. Et évidemment, cela prend de l’espace et il devient difficile d’accéder aux tombes qui sont au fond » se plaint ce jeune homme, qui était venu pour se recueillir sur la tombe de sa défunte tante qu’il a enterrée il y a juste quelques mois et qu’il peine pourtant à retrouver. Il suggère une bonne organisation des lieux afin que les parents puissent retrouver facilement les tombes de leurs proches disparus.
Quelques mètres plus loin, une dame, la soixantaine, vêtue d’un long boubou blanc, un col de la même couleur sur la tête, confie sa peine. « Mon défunt époux repose à quelques mètres, j’ai vraiment eu du mal à venir jusqu’ici. Le chemin qui mène à la tombe est trop étroit et il faut escalader certaines tombes pour y accéder. Mais je rends grâce à Dieu d’être devant la tombe. Je ne pense pas que des personnes plus âgées que moi auraient pu accéder à cette partie du cimetière », confie notre interlocutrice, soulagée. Lors de l’enterrement auquel votre serviteur était venu prendre part, beaucoup de personnes du troisième âge ont peiné à accéder au lieu de la mise sous terre. « C’est vraiment éprouvant. Déjà, le parcours depuis le grand portail est long. Après cela, devoir escalader des tombes pour assister à la mise à terre, je n’ai vraiment pas cette force », confie un vieil homme tout essoufflé s’appuyant sur sa canne en égrenant les perles de son chapelet. Outre les vieilles personnes, les handicapés subissent eux aussi les mêmes désagréments.
« Le cimetière ne manque pas d’espaces »
seulement voilà, si certains disent avoir des peines à retrouver les tombes des leurs disparus, gestionnaire du cimetière de Yoff, Ibrahim diassy, botte en touche. Il soutient que le cimetière est accessible et qu’il n’y a pas de problème pour retrouver une tombe. sur les constructions de mausolées dignes des palais, il répond que ceux qui ont construit ces tombes luxueuses sont dans leur droit le plus absolu. « Chaque personne a le droit d’acheter sa parcelle de terre. Si elle veut construire, c’est son droit. C’est pareil partout, même chez les chrétiens » nous confie M. diassy. sur le problème d’accessibilité, il renseigne que le cimetière de Yoff a une bonne organisation. Car, assure-t-il, tout a été fait selon les règles. « Il y a d’abord des sections, des séries et pour finir des numéros. Le tout est enregistré dans un registre.
Depuis l’ouverture de ce cimetière, en 1974, il y a eu un aménagement qui a été bien fait pour qu’il n’y ait aucun problème d’orientation ou de recherche des sépultures » lance le gestionnaire qui affirme qu’il faut simplement venir demander et donner la date de décès du parent pour qu’on puisse indiquer le lieu exact où il repose. En ce sens, il affirme que le cimetière ne souffre d’aucun encombrement. En effet, le gestionnaire nous fait savoir qu’il y a des espaces qui se trouvent à l’extérieur et qui appartiennent au cimetière. seulement, fait-il savoir, ce n’est pas encore le moment de les exploiter. seulement voilà, si le gestionnaire soutient qu’il n’est pas difficile d’accéder aux tombes, beaucoup de citoyens ne sont pas de cet avis. Ils pensent qu’avec les constructions qui ont poussé comme des champignons après la pluie, il leur est difficile de se recueillir sur la tombe de leurs défunts. Un fait que nous avons pu constater. En tout cas, il faut être agile pour pouvoir se recueillir sur certaines tombes. Une qualité que tout le monde n’a pas. surtout les personnes âgées et handicapées.