Lorsque l’on prête un regard aux productions actuelles, il semblerait que la représentation du sexe sur petit et grand écran ait beaucoup évolué ces dernières années. C’est pourquoi nous avons désiré analyser ce phénomène, et revenir sur l’Histoire de la représentation du sexe au cinéma, à travers sept questions.
DANS QUEL FILM APPARAÎT LA PREMIÈRE RELATION SEXUELLE AU CINÉMA ?
Si la représentation du sexe au cinéma est aujourd’hui extrêmement courante, il ne faut cependant pas se méprendre sur son historicité : le cinéma n’a pas attendu la révolution sexuelle pour représenter le sexe. Ainsi, Albert Kirchner réalise en 1895 le premier film érotique de l’Histoire du cinéma : Le Coucher de la mariée. D’une durée de sept minutes (seules deux minutes ont été conservées), ce film montre une femme, interprétée par Louise Willy, se déshabillant lentement devant son mari, fou de désir, qui attend patiemment qu’elle ait terminé. En 1897, le légendaire Georges Méliès (Le Voyage dans la lune) filme le déshabillage d’une femme par sa femme de chambre et son bain, dans Après le bal. Nombre d’Historiens du cinéma considèrent qu’il s’agit ici de la première scène de nudité du cinéma.
Mais il faudra attendre le début du XXème siècle pour voir apparaître les premiers films pornographiques, c’est à dire des films avec des scènes de sexe non simulées par les acteurs. Ces films sont apparus en Argentine. Le plus connu, El Sartorio, sorti en 1907. Il raconte les amusements interrompus de jeunes femmes nues par un Diable (ou un Satyre, comme le stipule le titre original). L’une d’entre elles (appelée The Queen) s’évanouit, avant que le Diable ne la force à avoir des relations sexuelles. Le groupe de jeunes femmes revient, les trouvent endormis, et chasse le Diable, à coups de branchages. Si bien évidemment ce film de quatre minutes pose problème (légitimement) aujourd’hui, il n’en demeure pas moins intéressant, dans la mesure où il nous montre une certaine perception du sexe à l’époque du cinéma muet : le fait est que nous avons affaire à un viol, commis par un Diable (ou un Satyre). Si par ailleurs The Queen finit par être consentante, le Diable est puni par les autres femmes, qui le mettent en fuite.
Attention toutefois : si les premiers films à caractère pornographique apparaissent en Amérique du Sud, l’Europe a vite rattrapé le coche. En 1908, un an après El Sartorio, sort le film A l’Ecu d’or ou la Bonne Auberge. Un film pornographique d’une durée de quatre minutes, montrant un ménage à trois entre un couple et une femme de ménages, surprise à s’amuser sexuellement avec le tuyau de son aspirateur. Un point commun entre El Sartorio et A l’Ecu d’or doit être mis en évidence : chacun de ces deux films a été tourné anonymement. Nous ne connaissons le nom ni des réalisateurs ni des acteurs et actrices, contrairement aux films de Méliès et de Kirchner cités plus haut. Rappelons que ces films étaient, officiellement du moins, illégaux (officieusement, ils étaient distribués sans aucun problème dans certains clubs ou dans des cinémas). Malheureusement, la plupart de ces films ont été perdus, détruits, et rares sont ceux qui nous sont parvenus intégralement. La recherche dans ce domaine est donc extrêmement limitée.
Nous avons voulu traiter dans cette partie conjointement l’émergence de la pornographie en parallèle de celle de la « nudité » au cinéma, pour deux raisons. Tout d’abord, parce que nous trouvons intéressant le fait que la représentation au cinéma de la sexualité, parfois très explicite, soit bien antérieure à la révolution sexuelle d’une part, et consécutive à la création du cinéma d’autre part. Ensuite, et surtout, ces deux cinémas, celui de Méliès et celui d’El Sartorio, vont plusieurs décennies plus tard se mêler, notamment sous la caméra de réalisateurs tels que Gaspard Noé ou Lars von Trier.
COMMENT LUTTER CONTRE LA CENSURE ?
Pour cette question, nous allons nous concentrer plus longuement sur le cinéma américain. Comme vous le savez certainement, a été voté en 1930 aux Etats-Unis le Motion Picture Production Code, le code de production, plus communément connu sous le nom de Code Hays. Les principes généraux de ce code, qui ne concerne pas uniquement la représentation de la sexualité au cinéma (mais aussi la violence, la décence, la religion), sont on ne peut plus clairs.
Aucun film ne sera produit qui porterait atteinte aux valeurs morales des spectateurs. De la même manière la sympathie du spectateur ne doit jamais aller du côté du crime, des méfaits, du mal ou du péché.
Des standards de vie corrects, soumis uniquement aux exigences du drame et du divertissement, doivent être montrés.
La Loi, naturelle ou humaine, ne sera pas ridiculisée et aucune sympathie ne sera accordée à ceux qui la violent.
Le volet sur la sexualité est extrêmement renseigné :
L’adultère, parfois nécessaire dans le contexte narratif d’un film, ne doit pas être présenté explicitement, ou justifié, ou présenté d’une manière attrayante.
Les scènes de passion. a) Elles ne doivent pas être présentées sauf si elles sont essentielles au scénario. b) Les baisers profonds ou lascifs, les caresses sensuelles, les poses et les gestes suggestifs ne doivent pas être exposés. c) De manière générale la passion doit être traitée de sorte à ce que ces scènes restent au-dessus de la ceinture.
Séduction ou viol. a) Ils ne peuvent pas être plus que suggérés et seulement lorsqu’il s’agit d’un élément essentiel du scénario. Même dans ce cas ils ne seront pas montrés explicitement. b) Ils ne sont en aucun cas un sujet approprié pour la comédie.
Toute référence à la perversion sexuelle est formellement interdite.
La représentation de rapports sexuels interraciaux est interdite.
L’hygiène sexuelle et les maladies vénériennes ne sont pas considérées comme des sujets pour les films.
La naissance d’un enfant, en face ou en silhouette, ne doit jamais être montrée.
Les organes sexuels d’un enfant ne doivent jamais être visibles.
Particulièrement strict, le code Hays a bouleversé la représentation de la sexualité dans le cinéma américain. Ainsi, le dessin animé Betty Boop, et son personnage principal éponyme, ont été profondément modifiés : de séductrice emblématique des Années Folles, avec ses jupes très courtes et son décolleté profond, Betty Boop devient, dès 1934, une jeune fille célibataire, rangée, habillée « de manière décente ».
Face à un code de production aussi restrictif, les réalisateurs devront rivaliser d’imagination pour suggérer le sexe sans le montrer. L’exemple le plus célèbre reste bien évidemment La Mort aux Trousses d’Afred Hitchcock. A la fin du film, les deux protagonistes, Roger Thornhill (Cary Grant) et Eve Kendall (Eva Marie Saint), désormais fiancés, s’embrassent dans un wagon-lit. Le plan final montre un train rentrant dans un tunnel, symbolisant la pénétration sexuelle. On profite de l’occasion pour vous conseiller chaleureusement la vidéo Comment suggérer le sexe au cinéma ? de la toujours excellente chaîne Blow Up – Arte, qui nous montre toutes les stratégies utilisées pour illustrer les relations sexuelles sans les montrer. La vidéo, passionnante, ne s’attache pas seulement aux productions sorties durant la période d’application du Code Hays (1934-1968).
COMMENT S’EST EXPRIMÉE LA RÉVOLUTION SEXUELLE AU CINÉMA ?
La révolution sexuelle, débutée en Occident au coeur des années 1950, et qui a atteint son apogée dans les années 1960/1970, a profondément impacté le cinéma. Déjà, parce que c’est grâce à elle que la censure au cinéma est devenue moins sévère. En effet, plus en accord avec les moeurs, et devenu inutile, car non respecté, le code Hays a laissé sa place à une classification par âge. Certains ont par exemple théorisé que la révolution sexuelle visait, entre autre, une libération de l’expression artistique au cinéma. N’étant ni historiens du cinéma, ni spécialistes de la révolution sexuelle, nous préférons, par commodité pour le reste de l’article, voir une relation d’interdépendance entre les deux, ayant permis une métamorphose à grande échelle des codes esthétiques au cinéma et des codes sociaux.
Il convient toutefois d’admettre une chose : c’est que le recul de la censure en Occident s’est fait progressivement, et pas seulement au cinéma. Pour bien illustrer ce recul de la censure, nous allons prendre pour exemple non pas un film, mais un classique de la littérature américaine : Tropique du Cancer. Ecrit par Henry Miller, ce roman autobiographique, qui parle de manière très crue de la sexualité entre deux pages de poésie ravageuse, a été rédigé en 1931, édité à Paris en 1934, et publié aux Etats-Unis qu’à partir de 1961, avant d’être poursuivi pour obscénité. Le jugement ne sera cassé qu’à partir de 1964.
Au cinéma, il nous semble que la révolution sexuelle s’est exprimé de deux manières bien distinctes. Tout d’abord, elle a permis de faire du sexe le principal enjeu de films, là où le code Hays l’interdisait. Le film Bob & Carole & Ted & Alice de Paul Mazursky, sorti en 1969, nous semble bien illustrer cette métamorphose. Le film raconte l’histoire de deux couples, le premier suivant une thérapie de groupe dans le but de moderniser leur sexualité, et désirant convaincre le second, plus traditionaliste, plus prude, de les suivre dans leur métamorphose. Le film de Paul Mazursky est un parfait témoin de cette révolution sexuelle, mais aussi de sa représentation cinématographique.
Par ailleurs, pendant la révolution sexuelle, le cinéma a fait tomber, progressivement, les différents tabous sexuels. On peut prendre pour exemple l’adaptation du Lolita de Vladimir Nabokov par Stanley Kubrick dans le film éponyme de 1962. Le film, comme le livre, raconte les amours passionnés entre un professeur de littérature française, Humbert Humbert, et une jeune adolescente, Dolorès, surnommée Lolita. Bien évidemment, si les deux oeuvres sont considérées comme des chefs d’oeuvre, du fait de leur parfaite maîtrise stylistique respective, elles gênent encore aujourd’hui. Le film de Kubrick, comme le livre de Nabokov, ont fait scandale, chacun à leur sortie. Pourtant, le réalisateur avait pris la peine de vieillir le personnage de Dolorès (12 ans dans le roman, 16 ans dans le film). Attention toutefois : il serait assez malencontreux de voir dans Lolita une apologie de la pédophilie. L’oeuvre doit être vue comme la « psychanalyse d’un monstre », comme l’explique un article très intéressant sur le livre de Nabokov, publié dans le numéro 14 de la revue America, « Sex in the U.S.A. ».
Ensuite, la révolution sexuelle a complètement métamorphosé la façon de représenter le sexe au cinéma. D’abord, montrer le désir. On se souvient de cette scène mythique du Mépris de Jean-Luc Godard, sorti en 1962, durant laquelle Brigitte Bardot, nue sur un lit, demande à Michel Piccoli s’il aime ses jambes, ses épaules, ses fesses, ses seins. Ensuite, montrer l’acte sexuel en lui-même. Sans doute par manque de culture cinématographique plus poussée, l’exemple le plus marquant demeure pour nous Orange Mécanique de Stanley Kubrick. D’abord classé « film X » à sa sortie en 1971, ce film sera nommé quatre fois aux Oscars en 1972, notamment pour le meilleur film et le meilleur réalisateur. Preuve s’il en est que beaucoup de chemin a été parcouru entre le code Hays et les années 70.
LE SEXE COMME OUTIL DE COMBAT ?
On l’a vu, la sexualité s’est imposée comme un sujet immensément riche au cinéma. Les réalisateurs peuvent désormais le traiter sous toutes ses formes. Pas forcément sous un angle sociétal d’ailleurs. Ainsi, dès 1968, le sulfureux réalisateur Roman Polanski inclu la question de la sexualité dans un film d’horreur, Rosemary’s Baby, d’après le roman d’Ira Levin (à qui l’on doit notamment Un bonheur insoutenable). Le personnage de Rosemary rêve qu’elle est violée en public par le Diable en personne. En 1976, Brian De Palma réalise Carrie au bal du Diable, un film d’horreur légendaire, adapté du premier roman de Stephen King, sorti deux ans plus tôt. Il traite, de manière métaphorique, des débuts de la puberté.
Mais la représentation sert également d' »outil de combat ». Social, d’abord. Non content de heurter les plus puritains, les scènes de sexe au cinéma et à la télévision peuvent également s’accompagner d’un message politique fort. Ainsi, les scènes de sexe très explicites dans l’excellente série HBO The Deuce de David Simon (The Wire, Treme), qui revient sur les débuts de l’explosion de la pornographie au coeur des années 70, loin d’être idéalisées, sont au contraire montrées avec le plus de réalisme possible. Dans son New York rappelant le Taxi Driver de Martin Scorsese, Simon fait interagir des prostituées battues et exploitées par leur maquereaux, et des militantes féministes.
L’évocation et la représentation de la sexualité permettent également au cinéma et à la télévision de se placer à l’avant-garde des combats sociaux de notre époque. Les sévices subis par Dolorès et Maeve dans le parc de Westworld, le rapport entre notre rapport au corps et les réseaux sociaux dans Euphoria, l’Amérique de l’ère #MeToo dans le film Scandale (avec Nicole Kidman, Margot Robbie et Charlize Theron), les droits des couples homosexuels comme dans La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche.
On sent également la volonté de varier le regard sur la sexualité : ne plus uniquement l’analyser d’un point de vue strictement masculin. Ainsi, les femmes au cinéma sont devenues maîtresses de leurs sexualité. Dans Les Sorcières d’Eastwick de George Miller, sorti en 1987, trois femmes ont des relations sexuelles avec le Diable (Jack Nicholson). Mais refusant d’être sa propriété exclusive, elles lui mènent la vie dure, et l’expulsent. Au cinéma comme à la télévision, une femme qui est maîtresse de sa sexualité est une femme forte. On se souvient du personnage de Daenerys Targaryen dans Game of Thrones, d’abord vendue par son frère à un Dothraki, et qui apprendra, en même temps que l’art de régner, celui d’être seule maîtresse de ses désirs.
La représentation de la sexualité est également un outil de combat artistique, permettant de repousser certaines limites du cinéma. Depuis L’Empire des Sens de Nagisa Oshima, sorti en 1976, certains films d’auteurs contiennent des scènes de sexe non simulées, exécutées soit par les acteurs soit par des doublures selon les cas. On se souvient bien évidemment des cas de Baise-moi de Virginie Despentes, Ken Park de Larry Clark, les deux volets de Nymphomaniac de Lars von Trier ou encore Love de Gaspard Noé. Accueilli avec plus ou moins de succès par le public et la critique, ces films restent aujourd’hui encore considérés comme sulfureux. Est-ce là le signe que nous avons atteint depuis longtemps la limite de l’acceptable au cinéma, ou cela signifie-t-il que nous avons encore du chemin à faire, en matière d’acceptation de la représentation sexuelle ?
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