Invité de l’émission «tête à tête» sur «Label tv», l’ingénieur en génie civil et spécialiste de l’immobilier Malick Ndiaye invite les autorités à changer ce modèle qui, selon lui, est une mauvaise façon de faire des villes, rapporte le journal l’AS dans sa livraison d’aujourd’hui et reprit par DirectActu.
Aujourd’hui, le modèle de fabrique des logements, ce sont les lotissements au Sénégal. Invité de l’émission «tête à tête» sur «Label tv», l’ingénieur en génie civil et spécialiste de l’immobilier Malick Ndiaye invite les autorités à changer ce modèle qui, selon lui, est une mauvaise façon de faire des villes.
Le gouvernement va organiser demain un conseil présidentiel sur le logement qui est devenu un réel problème au Sénégal. Ainsi pour l’ingénieur en génie civil et spécialiste de l’immobilier, Malick Ndiaye, si une ville doit assurer quatre fonctions essentielles que sont : se loger, pouvoir y travailler correctement, se divertir mais aussi pouvoir y circuler librement, les villes africaines ne garantissent pas toutes ces fonctions. Le spécialiste a indiqué en effet que dans les villes africaines, il y a une vraie absence de planification urbaine. « C’est-à-dire qu’il y a une urbanisation de fait alors que la ville a besoin d’être aidée pour pouvoir assurer ces fonctions. En plus, on a un problème de gouvernance urbaine », se désole l’ancien employé d’AGEROUTE.
Invitant de ce fait les autorités à revoir les modèles des villes africaines, il est revenu sur le cas spécifique du Sénégal. Disséquant la manière d’habiter dans le pays, l’auteur du livre Solutions pour un habitat durable, moderne et confortable au Sénégal soutient : « Aujourd’hui, le modèle de fabrique des logements, ce sont les lotissements au Sénégal, c’est-à-dire des hectares de terrain qui sont viabilisés sur des parcelles de 150, 200, 250m2. C’est une mauvaise façon de faire des villes. » Parce que déjà, l’offre foncière, selon lui, est mauvaise car sur une parcelle de 150m2 qui va finir en immeuble, il est impossible d’y faire une place pour le stationnement, ni prévoir un parking.
A l’en croire, pour pouvoir créer une ville fonctionnelle avec une bonne qualité, il faudrait sortir de cette logique de faire des lotissements. Interrogeant en outre l’urbanisation au Sénégal, l’ancien de Bouygues immobilier en France trouve sauvages les normes qui régissent l’urbanisation. « On a une normalisation plutôt sauvage. On a un urbanisme prédateur, productiviste où tout lopin de terre est bétonné, étanchéifié, asphalté et on se retrouve donc avec des conséquences désastreuses sur la qualité de vie », s’alarme M. Ndiaye. Pour lui, la non-prise en compte des questions de développement durable, de l’introduction du végétal dans le bâtiment, pose un problème réel dans la fabrique des villes. Il faudrait, insiste-t-il, repenser notre modèle de fabrique de la ville pour qu’elle intègre beaucoup plus le végétal aussi bien dans la construction des bâtiments que dans la construction des ouvrages publiques.
«LES GRANDES VILLES DU MONDE SONT EN TRAIN DE DECONSTRUIRE LEURS PONTS»
Jetant par ailleurs un regard critique sur la construction de nouvelles infrastructures routières comme les ponts, l’ingénieur déclare : « On construit énormément de ponts et de routes. Mais si on regarde bien, les grandes villes du monde sont en train de déconstruire ces ponts, de supprimer les autoroutes urbaines pour en faire des boulevards. » De son avis, l’ère du tout véhicule est dépassée. Il signale que la voiture et la vitesse ont atteint leurs limites. « Aujourd’hui, on veut remettre l’humain au centre de tout. Et le fait de vouloir à chaque fois aller vers la vitesse, c’est ce qu’on appelle les contraintes de relâchement de mobilité. Ce qui fait que les gens ont tendance à aller plus loin pour utiliser des espaces naturels, utiliser de la terre », renseigne-t-il avant d’ajouter : « Alors qu’on parle d’urbanisme sobre, d’urbanisme frugal. Ce sont des notions très modernes de l’urbanisme et que l’on ne voit pas dans la réalisation de nos villes. »
«LES PRIX DU LOGEMENT NE SONT PAS PRES DE BAISSER»
S’exprimant aussi sur le problème de logement au Sénégal, l’expert immobilier a rappelé qu’en 2013, le déficit de logements était estimé à 158 000 unités à Dakar. « Au Sénégal, ce sont 23 millions de Sénégalais qui vont venir se rajouter à la population sénégalaise d’ici 2050. En raisonnant de façon logique, c’est 800 mille ménages qui vont venir chaque année. Donc il faudra construire 100 mille logements pour loger les ménages dans les années à venir, pour ne pas avoir des problèmes de stabilité sociale », pense-t-il. Sauf que, se désole-til, le Sénégal ne construit même pas 5 000 logements par an d’où la pression qu’il y a dans l’immobilier. C’est pourquoi, révèle l’expert, il y a une inflation tellement forte qui fait que les prix ne sont pas près de baisser. Sur la construction de nouveaux pôles urbains au Sénégal, il a fait part aussi de ses appréhensions. « Aujourd’hui, ce qui se passe dans beaucoup de pays africains, c’est que dès qu’il y a un problème urbain, on a tendance à imaginer des villes nouvelles sans pour autant régler le problème qu’il y a dans la ville, et ça favorise l’étalement urbain », s’alarme M. Ndiaye qui souligne que le fait de vouloir toujours aller construire d’autres villes au lieu de reconstruire la ville sur la ville pose un problème. Ebauchant des solutions pour sortir de ce phénomène, il préconise de réaménager la ville et de restructurer les rues pour en faire des villes beaucoup plus intéressantes.
«DANS LES PAYS DEVELOPPES, CE N’EST PAS A L’ETAT DE S’OCCUPER DES DECHETS OU DES ROUTES»
L’ingénieur a déploré aussi le fait qu’il y ait un réel problème de gouvernance des villes. « Dans les pays développés, on a une entité identifiable. Ici, on a une multitude d’organismes qui s’occupent de cela. Vous avez par exemple pour les routes l’AGEROUTE, vous avez pour l’assainissement l’ONAS, vous avez pour les déchets l’UCG. De ce fait on a un défaut de coordination parce que toutes ces compétences sont cloisonnées », fait-il savoir. D’après lui, tout cela montre qu’il y a un réel problème de gouvernance urbaine. Dans les grandes villes du monde, déclare l’ingénieur, ce n’est pas à l’Etat de s’occuper des déchets ou des routes. Prenant fait et cause pour le développement durable, il prévient : « On est à la croisée des chemins et quand on aura fini de couper tous les arbres, quand on aura bétonné tous les îlots de terre, quand l’air sera irrespirable, on comprendra que la richesse n’est pas dans le taux de croissance, que l’argent ne se mange pas. » La seule alternative pour lui est de revenir à une croissance beaucoup plus verte.