J’ai pensé à Ngor ce dimanche. Je ne le comprenais plus. Mon plus qu’ami, mon frère, a complètement « disparu de la circulation », pour parler trivialement. Il ne sort pratiquement plus. Même s’il m’a assuré, au téléphone, il y’a quelques jours qu’il se portait à merveille, j’ai décidé, avant-hier matin, d’aller le voir pour m’enquérir de sa situation. Je l’ai trouvé devant sa chambre, dans la cour de l’immense concession de la famille Sène, négligemment affaissé sur une chaise pliante, un pied à terre, l’autre sur le bord de la chaise ; une chaise pittoresque du reste, sortie vraisemblablement tout droit du bric-à-brac de Baye Modou, le brocanteur du coin.
Il tenait un livre entre ses mains. Le titre était évocateur, pendant cette période de pandémie : LA PESTE, d’Albert Camus.
NGOR a toujours aimé la lecture et lisait presque tout quand on était plus jeunes. Sa chambre était un cimetière de bandes dessinées. Ses héros à lui, c’étaient les tarzanides Zembla ou Akim, Captain Swing, Blek le Roc etc. Il maîtrisait particulièrement les allées du marché Tilene dédiées aux vendeurs de journaux et de livres. Ngor lisait tout, disais-je, même, mais en cachette, deux magazines dont je ne me souviens plus des noms, véritables moyens initiatiques à la gestion des contradictions…biologiques de l’homme et de la femme… Je sais juste qu’ils commençaient par U… et L….
Il sursauta en me voyant et s’étonna de ma visite. Il me fit comprendre que lui, suivait scrupuleusement les recommandations sanitaires et que maintenant, c’est boulot-domicile. Point barre.
Je me souvins que Ngor, hypertendu, était un sujet à risque et compris ses explications. Je lui indiquai alors que j’avais juste sa nostalgie et celle de nos discussions.
Il me fit comprendre ensuite, qu’il a mis à profit cette période pour faire une introspection spirituelle avec une lecture assidue du saint-Coran mais aussi la relecture de certains grands classiques africains.
Ses pérégrinations livresques lui ont ainsi permis de faire le voyage du Cameroun pour vivre, à nouveau, « Une vie de boy » avec Ferdinand Oyono, de se rendre au Mali pour que Hampaté Ba lui raconte « L’étrange destin de Wragrin » puis au … Lesotho, avec Thomas Mofolo, revoir « Chaka », de passer par la Côte d’Ivoire pour re-scruter « Les soleils des indépendances » avec Ahmadou Kourouma, de lire patiemment, profondément, en revenant au Sénégal, la si « Longue lettre » de Mariama Ba. Et puis, comme d’habitude, on a parlé de notre Médina.
Nous avons abordé un petit chapelet de sujets qui intéressent nos concitoyens notamment et naturellement cette pandémie qui nous empêche à tous, de respirer, au propre comme au figuré, nous maintenant dans une position georges-floydienne depuis le 2 mars, mais aussi … de la déclaration de patrimoine dont a parlé le Président lors d’un Conseil des Ministres.
As-tu fait tes déclarations ? Me demanda t-il.
Je lui ai d’abord expliqué que cet exercice incombe à tous les administrateurs de crédits, les ordonnateurs de recettes et de dépenses, les comptables publics, effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à un milliard (1.000.000.000) de francs CFA.
Bref, pour parler simple, tous les Ministres, DG et Maires, dans cette situation, c’est-à-dire qui gèrent un budget de plus d’un milliard, doivent, dans les trois mois qui suivent leur nomination, formuler une déclaration certifiée sur l’honneur, exacte et sincère de leur situation patrimoniale concernant notamment leurs biens propres ainsi que, éventuellement, ceux de la communauté ou les biens réputés indivis en application de l’article 380 du Code de la famille.
En fait, il s’agit de voir si quelqu’un, à qui on a confié des charges publiques, en a profité pour s’enrichir illicitement.
Il ne s’agit pas de la photographie instantanée de votre situation mais de la comparaison entre vos avoirs au moment de prendre la fonction et au moment de la quitter.
Vous devez prouver, à l’entrée que les biens déclarés vous appartiennent réellement, et, à la sortie, que l’évolution de votre patrimoine est justifiée par vos revenus propres ou par des crédits bancaires vérifiables.
Les déclarations sont faites sur l’honneur c’est-à-dire que vous engagez votre dignité en affirmant n’avoir rien dissimulé et que vous n’utilisez pas des prête-noms ou autres sociétés écrans pour tromper le peuple.
Je lui ai ensuite rappelé qu’il connaît bien mon profond attachement à la chose publique, aux lois et règlements de ce pays. Je lui dis enfin que je souscris régulièrement mes déclarations fiscales et de patrimoine. J’ai bel et bien déclaré sur l’honneur tous mes avoirs et à temps opportun. En tout état de cause, dans le forum de la Médina, il sera proposé que tout candidat comme conseiller ou Maire de notre belle cité doive exhiber un récépissé de sa déclaration de patrimoine, s’il était tenu légalement de le faire.
J’étais venu voir Ngor pour trente minutes, je sortis de chez lui vers 20 heures car nous abordâmes beaucoup d’autres sujets avant mon départ. J’y reviendrai …
Quelque chose m’intrigua quand même, au moment de prendre congé. Il me dit de tendre les mains et se mit, les yeux fermés, à la manière des soufis, à réciter de longues litanies. La lecture du Coran semblait commencer à faire des effets sur mon frère sérére … le tonitruant Ngor avait vraiment changé.
Il termina par me re-conseiller de toujours avoir en bandoulière l’éthique et le pardon, de ne jamais dire ou penser du mal de qui que ce soit, fût-il un ennemi, de continuer à soutenir nos frères et sœurs face à la pénibilité et la précarité sociales.
Je le lui promis…
(à suivre)