Son nom est sur toutes les lèvres, ou presque, depuis quelques jours. Karim Khan n’en est pourtant pas à sa première polémique. Quelques mois après avoir émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, le procureur de la Cour Pénale Internationale vise désormais Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense ainsi que trois dirigeants du Hamas.
Le 20 mai, Le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a réclamé un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahou, son ministre de la Défense, et trois dirigeants du Hamas pour des « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». Les juges de la CPI doivent encore décider d’accorder ou non ces mandats d’arrêt, mais ils valent déjà à Karim Khan les huées des uns et les applaudissements des autres. Cette dualité lui est familière, lui qui, en d’autres temps, a suscité la compassion en défendant des victimes, ou cristallisé la colère en défendant des accusés de crimes de guerre. Au final, personne ne semble pouvoir cerner le procureur de la CPI.
Habitué aux projecteurs
Si beaucoup découvrent le nom de Karim Khan, dont la volonté d’obtenir un mandat contre le premier ministre israélien est jugée « scandaleuse » par Joe Biden, le procureur de la CPI n’en est pourtant pas à son premier rodéo médiatique.
L’Afrique semble avoir eu un rôle déterminant dans son ascension professionnelle.
A plusieurs reprises, la polémique a déjà poussé son profil sous les projecteurs des médias. On serait même tenté de croire qu’il en joue. Par exemple, lorsqu’il révèle au micro de CNN qu’un dirigeant américain lui a confié que « la CPI est faite uniquement pour l’Afrique et des voyous comme Poutine », Karim Khan sait l’effet que fera sa déclaration sur le continent africain où elle est depuis reprise par de nombreux médias. Pourtant, c’est aussi lui qui a demandé un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, ce qui tend à démontrer son indépendance de jugement.
Pourtant, c’est aussi lui qui a demandé un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, ce qui tend à démontrer son indépendance de jugement.
Dans un rapport évaluant les finalistes au moment de l’élection du procureur en novembre 2020, la commission de la CPI dit de Karim Khan qu’il est « un communicateur charismatique et éloquent ». Dans les vidéos publiées sur son compte X, le procureur de la CPI affiche effectivement une communication maitrisée qu’on n’attend pas forcément d’un juriste. Rien dans le parcours de Karim Khan ne préparait à de telles qualités.
Karim Khan est élu avec 72 voix sur 123. Sur les 72 voix obtenues, la moitié est venue d’Etats africains.
Né à Edimbourg en Écosse en 1970, il a étudié dans une école privée du nord du Royaume-Uni, avant de se lancer dans un cursus de droit au King’s College de Londres. Fils d’un dermatologue pakistanais et d’une infirmière britannique, il est, par filiation, de la communauté Ahmadie, un courant de l’islam pacifiste et tolérant, né au Pendjab au XIXᵉ siècle et interdit par le Pakistan qui le considère comme hérétique.
Il est, par filiation, de la communauté Ahmadie, un courant de l’islam pacifiste et tolérant, né au Pendjab au XIXᵉ siècle et interdit par le Pakistan qui le considère comme hérétique.
C’est cette interdiction de la communauté Ahmadie, obligée de s’installer au Royaume-Uni dans les années 1980 après avoir été chassée du Pakistan qui aurait donné envie à Karim Khan de faire du droit. Il finit par intégrer le barreau de Londres en 1992.
Débuts controversés dans le droit pénal international
Procureur général de 1993 à 1996 au Royaume-Uni, Karim Khan est ensuite conseiller juridique au bureau du procureur des deux tribunaux pénaux internationaux, pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda entre 1997 et 2000. Cette période est l’une des plus controversées de sa carrière. Dans les années 2000, Karim Khan a notamment défendu l’ancien dictateur libérien Charles Taylor, accusé par un tribunal spécial de l’ONU de meurtres, de viols et d’utilisation d’enfants soldats. Charles Taylor sera condamné à 50 ans de prison.
Durant la décennie 2010, Karim Khan défend également Saïf al-Islam, le second fils du dictateur libyen Mouammar Kadhafi condamné à mort par contumace en 2015 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’accusé sera finalement libéré en 2016.
Karim Khan a également défendu William Ruto, actuellement président du Kenya, lorsque ce dernier était accusé de crimes contre l’humanité en 2007, suite à des violences post-électorales ayant fait 1200 morts. Karim Khan réussit à le faire acquitter.
Procureur général de 1993 à 1996 au Royaume-Uni, Karim Khan est ensuite conseiller juridique au bureau du procureur des deux tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda entre 1997 et 2000.
Cet épisode lui vaut notamment des allégations d’intimidation de témoins, suite au décès en 2014 de l’une des personnes citées pour témoigner dans l’affaire.
Karim Khan a également défendu le politique congolais Jean-Pierre Bemba. Condamné à 18 ans de prison en première instance, il sera finalement acquitté en appel, en juin 2018.
Dans le même temps, il intervient du côté des parties civiles au Cambodge, durant le procès du tortionnaire du régime khmer rouge Kang Kek Leu (surnommé Duch). Il conseille également des victimes dans des affaires en Albanie par exemple. Malgré tout, c’est l’Afrique qui semble avoir eu un rôle déterminant dans son ascension professionnelle.
Une arrivée inattendue à la CPI
Le choix de Karim Khan comme procureur de la CPI intervient après une série d’actions particulières. « Le fait qu’il ait défendu à la fois des accusés de premier plan et des victimes, qu’il ait représenté l’accusation, lui offre une place unique pour relever les défis qui l’attendent », déclarait à l’AFP, en 2021, Carsten Stahn, professeur de droit pénal international de l’université néerlandaise de Leiden.
A l’origine, Karim Khan n’était même pas parmi les candidats au poste de procureur de la CPI. (…) Son nom y a été ajouté sur demande insistante du gouvernement kényan.
Pourtant, à l’origine, Karim Khan n’était même pas parmi les candidats au poste de procureur de la CPI. Selon le quotidien britannique The Guardian, son nom y a été ajouté sur demande insistante du gouvernement kényan. Finalement, Karim Khan est élu avec 72 voix sur 123. Ce score est loin du consensus observé chez les précédents procureurs de la CPI. Et sur les 72 voix obtenues, la moitié est venue d’Etats africains.
Karim Khan : « Le droit n’est pas là pour faire joli. On ne peut pas l’ignorer »
Dès septembre 2021, il relance l’enquête sur des crimes commis par les Talibans et l’État islamique en Afghanistan. L’investigation avait été suspendue en 2020. Dans le même temps, Karim Khan décide d’« écarter des priorités» les investigations sur les crimes commis par les forces internationales, notamment américaines, en Afghanistan. Il suspend également l’enquête sur les tortures dans les prisons secrètes de la CIA en Pologne, en Roumanie et en Lituanie.
En mars 2023, il émet un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, l’accusant de crimes de guerre pour « déportation illégale » de milliers d’enfants ukrainiens dans le cadre du conflit entre la Russie et l’Ukraine.
Tour à tour défenseur des accusés de crimes de guerre ou de leurs victimes, le natif d’Edimbourg est un véritable paradoxe. Applaudi aux Etats-Unis lorsqu’il demande un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, il y est désormais conspué pour avoir traité sur le même plan la répression violente israélienne à Gaza et les actes terroristes du Hamas.
Malgré tout, cela ne semble pas émouvoir Karim Khan : « Le droit n’est pas là pour faire joli. On ne peut pas l’ignorer », avait-t-il déclaré lors de sa visite en Palestine en décembre dernier. Pour le moment, celui dont le mandat s’achève en 2030 attend la décision des juges de la CPI, espérant qu’elle se fondera, non pas sur des considérations politiques mais sur des faits constatés et documentés par ses équipes d’enquêteurs.