Certains villages de la région de Kolda sont interdits de séjour aux autorités publiques, comme notamment celles de l’administration territoriale et des collectivités territoriales, lesquelles doivent aussi se garder d’emprunter certaines voies de communication au risque d’être frappés par un malheur, comme celui par exemple de tomber dans la déchéance.
Si ces interdits, qui dateraient de la période coloniale, sont diversement appréciés au sein des populations, il reste que personne n’ose les braver par crainte d’éventuelles conséquences néfastes qui pourraient découler de leur violation.
‘’Ces interdits [remontent à] la période coloniale suite aux persécutions liées aux collectes d’impôts obligatoires en nature, notamment le bétail’’, renseigne Abdoulaye Diallo, secrétaire municipal à la commune de Coumbacara, en citant des notables versés dans la tradition orale.
Les populations indigènes, pour se protéger des traitements humiliants, recouraient alors aux pratiques mystiques pour empêcher les colons d’accéder à leurs villages, ou d’emprunter certains chemins, explique le secrétaire municipal. Ces interdits remontent à plusieurs générations, et jusque-là, personne ne cherche à les braver, souligne-t-il.
Les personnes qui les violeraient, pourraient perdre leurs fonctions, quels que soient leur rang, titre ou grade, prévient-il.
Une croyance répandue dans les départements de Kolda et Vélingara
La région de Kolda compte plusieurs villages, pistes, chemins et routes interdits aux personnalités politiques et aux agents de l’administration. Et c’est dans les départements de Kolda et Vélingara que le phénomène est le plus répandu.
Dans la zone de Manda Douane, dans le département de Vélingara, il y a des villages où aucune personnalité occupant des fonctions importantes, n’ose s’aventurer, déclare Abdoulaye Baldé.
Ces villages où aucune autorité publique n’ose mettre les pieds sont Saré Sambelel ou Saré Guiro, une localité nichée dans la forêt et Sinthiang Passa-Passa, dans la commune de Saré Coly Salé, précise ce notable d’une soixantaine d’années.
Le département de Kolda abrite également des villages interdits aux autorités, qu’elles soient politiques ou administratives. Selon la tradition orale, il leur est défendu de se rendre à Médina Demba Bilo, Kandaga Hamady, Tackoyel, dans la commune de Coumbacara, rappelle Amadou Baldé, le maire de cette collectivité frontalière avec la Guinée-Bissau.
‘’Je suis à la tête de celle collectivité territoriale depuis [la suppression du] conseil rural et jamais je n’ai mis les pieds dans ces villages interdits. Et même en temps de campagne électorale, nous avons des équipes qui s’y rendent sans les prétendants’’, explique-t-il.
Des villages et axes routiers interdits aux autorités, il en existe aussi dans la commune de Médina El hadji, confie son maire, Ousmane Baldé. Gallou Kamako et Hamdalaye font partie des localités de cette commune où les agents de l’Etat et les responsables politiques doivent éviter à tout prix de se rendre, déclare-t-il.
‘’Toute personne qui remet en cause cette tradition, le paie cache, car elle perd sa fonction. Les raisons sont souvent liées à l’histoire’’, rappelle le maire de la commune de Medina El hadji.
Le journaliste Mamadou Aliou Diallo, correspondant du quotidien national le Soleil à Kolda, confirme l’existence de ces villages interdits aux personnalités politiques et agents de l’administration. Ils évitent d’entrer dans certains lieux et villages du Fouladou par crainte de perdre leurs fonctions, fait valoir Diallo.
Il raconte qu’un des gouverneurs de Kolda avait dû un jour prendre un chemin de détour lors d’une tournée économique dans des villages de la commune de Médina El hadji en raison de ces interdits.
‘’On devait se rendre dans un village et lorsque le convoi arriva à hauteur d’une route, on nous demanda de faire le tour pour éviter de l’emprunter. Une personnalité qui veut conserver son titre ou fonction, doit à tout prix éviter de passer par cette route, disait-on’’, explique-t-il.
A l’origine, des drames et phénomènes naturels
Mythe ou une réalité ? Les avis sont partagés, mais ce qui est constant est que personne ne cherche à braver de tels interdits. Face à l’épaisseur du mystère qui continue de les entourer encore, mieux vaut appliquer à la lettre cette sagesse peule qui dit que devant une brèche dont on ignore la profondeur, l’attitude la plus prudente est d’éviter d’y plonger.
Hogo Mballo, instituteur à la retraite et écrivain, explique que ces villages interdits aux personnalités sont bel et bien une réalité dans la région de Kolda. Leurs habitants, rappelle-t-il, ont souvent opposé une résistance farouche aux colons et aux envahisseurs.
Il donne l’exemple du village de Payoungou, dans le département de Vélingara, une localité où il était interdit à toute personnalité de passer la nuit. ‘’Bref, chacun peut y croire ou non, mais l’histoire est racontée comme telle’’, conclut-il.
Abdoulaye Coly, psychosociologue explique de son côté ces interdits par la croyance magico-religieuse qui remonte à la nuit des temps.
‘’Depuis la nuit des temps, l’homme a toujours cherché à trouver des explications à tous les phénomènes et ceci avant l’avènement des religions [révélées], mais devant chaque situation avec ses interdits, il faut souligner qu’il y a toujours un soubassement ou précédent dans l’histoire’’, confie le spécialiste.
De l’avis de M. Coly, ‘’dans les sociétés africaines, la culture est au début et à la fin de toute chose’’. Concernant les zones interdites, avance-t-il, ‘’ce sont des lieux où souvent il y a eu des précédents liés à des drames ou à des phénomènes surnaturels’’. Le psychosociologue rappelle que ‘’dans nos croyances, il n’y a jamais de fumée sans feu’’.