Depuis le 7 octobre 2023, les journalistes de Gaza travaillent dans des conditions extrêmes : frappes ciblées, rédaction réduite à la rue, coupures de courant et matériel détruit. Face aux pertes humaines et à l’effondrement des infrastructures, ils persistent à documenter, coûte que coûte. Alors que le monde célébrait hier la journée mondiale de la liberté de la presse, à Gaza, les journalistes palestiniens continuent d’être les yeux du monde, privés de tout sauf de leur détermination.
Sami Shehadeh, vidéojournaliste, a été grièvement blessé en avril dernier alors qu’il couvrait les conséquences d’un bombardement israélien dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de Gaza. Il a perdu sa jambe droite. « Je me trouvais dans une zone dégagée, clairement identifiable comme journaliste — avec un casque, un gilet de presse, une caméra, entouré de collègues — et malgré cela, j’ai été touché. Ce moment a bouleversé toute mon existence. J’ai assisté aux crimes qui se sont produits ici en tant que journaliste. Et en une seconde, je suis devenu une victime de l’un d’eux. »
Malgré le traumatisme, il a repris le travail et reste déterminé. « J’ai de la détermination et de la persévérance — je tente de retrouver mes forces pour ne plus avoir à dépendre de personne. J’aime la photographie depuis l’enfance et je ne l’abandonnerai jamais, quels que soient les obstacles. C’est pour cela que j’y suis retourné — pour affronter tous les défis auxquels je fais face en tant que caméraman de télévision blessé dans cette guerre, pour montrer au monde ce que vit un photographe et journaliste à Gaza : combien il est opprimé, et avec quelle force il lutte malgré tout pour atteindre ses objectifs« .
209 journalistes tués à Gaza
Selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR), 209 journalistes ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023, qu’ils soient en reportage ou à domicile. L’organisme alerte sur un « niveau de danger sans précédent » pour les professionnels de l’information.
A Gaza, les rédactions n’existent plus. Frappées à plusieurs reprises, elles ont été entièrement détruites. Plus de bureaux, plus de rédactions : seulement des décombres. Alors sur place, les journalistes palestiniens sont contraints de se débrouiller.
« Alors que le monde célèbre la Journée mondiale de la liberté de la presse, les journalistes palestiniens se souviennent de leurs espaces de travail et bureaux, qui ont été sans relâche visés et détruits par l’armée israélienne« , témoigne Mohammed Abu Namous, journaliste de terrain.
« Il ne nous reste aucun endroit pour travailler. On cherche n’importe quel lieu qui offre le strict minimum, une prise électrique, une connexion internet. Mais il n’y en a pas. Alors on s’installe dans des magasins qui ont internet, ou dans la rue qui est devenue le nouveau lieu de travail pour les journalistes de terrain ».
La plupart travaillent désormais avec un téléphone portable comme seul outil. Le matériel a été détruit ou perdu. Les coupures d’électricité et de réseau sont constantes. Filmer, monter, transmettre — tout devient un défi. Mais la volonté reste.
Moamen Al-Sharafi, lui, a vécu l’horreur. En décembre 2023, une frappe israélienne a rasé la maison familiale à Gaza-Nord. Il a perdu ses parents et 23 membres de sa famille. « Personnellement, l’impact a été profondément douloureux et m’a affecté sur le plan social et émotionnel. Cette perte dévastatrice est une réalité que de nombreux journalistes ici ont endurée pendant plus de 500 jours de guerre. »
Comme d’autres journalistes touchés directement par le conflit, il aurait pu tout arrêter. Il a choisi de continuer. « En fait, notre détermination n’a fait que se renforcer. Nous poursuivons notre travail avec engagement et humanité, transmettant la vérité sur ce qui se passe sur le terrain à Gaza — en particulier les conséquences humaines sur les enfants, les femmes, les personnes âgées et les malades qui souffrent immensément à travers toute la bande de Gaza. »

© USUNTV
Journalistes visés, médias muselés
Au-delà de Gaza, des rapports font également état de l’arrestation et du mauvais traitement de journalistes palestiniens en Cisjordanie. Le chef du bureau des droits de l’homme de l’ONU dans les Territoires palestiniens occupés, Ajith Sunghay, confirme une dégradation nette de la sécurité des journalistes sur le terrain : « La situation a toujours été difficile. Mais depuis le 7 octobre, nous avons enregistré un pic massif d’attaques, de détentions, de censure et d’assassinats visant les journalistes.«
Aujourd’hui encore, les autorités israéliennes interdisent toujours l’accès de Gaza aux journalistes internationaux. Un verrou médiatique que dénonce le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini et qui contribue selon lui à « la propagation de la désinformation, des récits mensongers et d’une rhétorique déshumanisante« .
Selon ce dernier, les journalistes palestiniens « poursuivent leur travail héroïque et en paient un lourd tribut« , alors que « le libre flux de l’information et une couverture indépendante sont des piliers essentiels pour garantir la vérité et la responsabilité en période de conflit« .