(Agence Ecofin) – Selon un rapport publié, il y a quelques semaines par le géant britannique de la téléphonie par satellite Inmarsat, l’adoption des technologies liées à l’Internet des Objets s’est accélérée dans le monde entier, à cause de la pandémie de Covid-19. Mais en Afrique, le monde agricole n’a pas attendu une catastrophe sanitaire planétaire pour entamer l’adoption de ce nouveau concept ainsi que des technologies qui y sont liées. Décryptage.
Contrairement à l’intelligence artificielle ou au machine learning, il est difficile d’avoir une définition exhaustive, mais simple de l’internet des objets (IoT- internet of things, en anglais), car il ne s’agit tout simplement pas d’une technologie. Il faut plutôt le comprendre comme un concept qui vise à tirer profit des données émises par la multitude d’objets connectés, utilisés dans tous les secteurs d’activité. Grâce à internet et au fonctionnement en réseau, ces objets connectés, dotés de capteurs, peuvent transmettre continuellement des informations les unes aux autres et permettre aux utilisateurs d’améliorer les processus de production ou le quotidien des particuliers.
L’Afrique mise sur la technologie pour améliorer le rendement des entreprises agricoles.
Il faut aussi souligner que l’IoT intègre les autres technologies suscitées, à savoir l’IA, l’apprentissage automatique ou encore la blockchain. Pour le moment, les usages de l’IoT connus du grand public se limitent parfois à des montres connectées, des voitures connectées ou encore la maison connectée. Mais les applications de l’IoT pour les entreprises sont celles qui offrent encore le plus de potentiel de croissance, en raison des besoins auxquels elles peuvent répondre.
L’agriculture en Afrique à l’ère de l’IoT
D’après l’ONU, le monde doit multiplier par deux sa production alimentaire d’ici 2050, pour répondre à la forte croissance attendue de la population. Alors que les surfaces cultivables ont davantage tendance à rétrécir et que le changement climatique affecte la disponibilité de l’eau, le leitmotiv de l’industrie agricole est désormais l’efficience. Les différentes innovations technologiques offrent une solution à cette quête d’efficacité et les agriculteurs africains, continent le plus visé par ce boom démographique, s’en emparent déjà.
Alors que les surfaces cultivables ont davantage tendance à rétrécir et que le changement climatique affecte la disponibilité de l’eau, le leitmotiv de l’industrie agricole est désormais l’efficience.
Dans plusieurs pays africains, l’agriculture représente l’un des principaux contributeurs à la création de richesse et la part du secteur dans le PIB de l’Afrique est estimée à 30%. Elle emploie aussi 60% de la population active, tout en produisant 80% des besoins alimentaires du continent. Après avoir migré progressivement, des méthodes d’exploitation peu industrialisées à la mécanisation et à l’usage intensif d’intrants agricoles et de pesticides, les agriculteurs du continent peuvent désormais profiter des nouvelles technologies adaptées à leur activité. Entre usage de produits chimiques et effets du changement climatique, l’agriculture traditionnelle fait en effet face à de multiples défis qui ont pour conséquences de réduire les récoltes et d’accroître la sous-alimentation. Selon des estimations concordantes en effet, la population africaine, déjà marquée en partie par des problèmes de sécheresse et de faim, devrait croître de 91% d’ici 2050, passant de 1,3 milliard en 2020 à 2,6 milliards.
IBM et l’agritech Hello Tractor développent des solutions au Kenya et au Nigeria.
Pour relever ces défis, plusieurs start-up tentent d’apporter des solutions en misant sur la technologie pour améliorer le rendement des entreprises agricoles. Dans ce contexte, l’internet des objets joue un rôle de premier plan, comme l’a démontré un accord conclu, il y a deux ans, entre IBM et l’agritech Hello Tractor, présente au Nigeria et au Kenya. Fin décembre 2018, le géant américain s’est en effet associé, à travers sa filiale IBM Research, à la jeune pousse ouest-africaine pour développer une plateforme basée notamment sur l’IA et la blockchain, au profit des agriculteurs africains. La méthode est plutôt simple. Il s’agit d’installer des objets connectés dotés de capteurs dans les champs tout au long de l’année, afin qu’ils puissent récolter et transmettre des données sur la pluviométrie, les prédateurs des plantes, l’usage des intrants, etc.
La méthode est plutôt simple. Il s’agit d’installer des objets connectés dotés de capteurs dans les champs tout au long de l’année, afin qu’ils puissent récolter et transmettre des données sur la pluviométrie, les prédateurs des plantes, l’usage des intrants, etc.
Ces informations, associées à celles obtenues grâce à la météo et analysées grâce à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage automatique, fournissent ensuite aux agriculteurs de précieuses indications. Ces dernières peuvent concerner le moment idéal pour planter, protéger les cultures grâce aux pesticides, irriguer, afin d’obtenir les meilleurs rendements possibles.
Unitrans Africa vulgarise l’usage du drone au Malawi et au Mozambique.
L’usage des objets connectés ne s’arrête pas là, comme le montre Unitrans Africa. Spécialisée dans la fourniture de diverses solutions aux agriculteurs africains, elle a acquis cette année une flotte de drones au profit de ses clients du Malawi et du Mozambique, dans un premier temps. Les engins peuvent non seulement assurer la pulvérisation aérienne à un coût inférieur à celui des avions, mais en plus, grâce aux capteurs dont ils sont dotés, ils peuvent fournir à l’agriculteur des informations sur les cultures qui ont plus ou moins besoin d’intrants agricoles, tout en identifiant rapidement, sur des champs de plusieurs milliers d’hectares, des zones subissant divers stress.
L’autre aspect qui peut passer inaperçu, mais qui est tout aussi précieux dans une agriculture numérisée, c’est la disponibilité de données fiables sur les récoltes, ce qui peut encourager les établissements de crédit à accorder plus facilement du financement aux entrepreneurs agricoles.
Par ailleurs, des capteurs peuvent aussi être installés sur les machines agricoles et prévenir ainsi les propriétaires de potentielles réparations ou travaux de maintenance à faire. Cela limite les imprévus et participe aussi à l’amélioration du rendement des cultures. Enfin, l’autre aspect qui peut passer inaperçu, mais qui est tout aussi précieux dans une agriculture numérisée, c’est la disponibilité de données fiables sur les récoltes, ce qui peut encourager les établissements de crédit à accorder plus facilement du financement aux entrepreneurs agricoles.
Des contraintes
Faut-il le rappeler, les agritech ne sont pas l’apanage de l’Afrique. Dans son rapport intitulé « Industrial IoT in the time of Covid-19 », élaboré avec l’appui du cabinet Vanson Bourne, Inmarsat rappelle que « les investissements dans les technologies destinées à soutenir la production alimentaire ont été multipliés par six depuis 2012, pour atteindre 20 milliards de dollars en 2019 ». Sur ce total, il faut souligner que les technologies centrées sur l’amélioration génétique des cultures ou l’agriculture de précision occupent une belle place. Par ailleurs, à travers le monde, les entreprises qui sont plus enclines à effectuer les investissements nécessaires sont celles de grande taille (250 à 3000 employés et plus). En Afrique où les petites et moyennes entreprises dominent encore le secteur, se pose donc le problème du financement pour mener cette nouvelle révolution technologique.
En Afrique où les petites et moyennes entreprises dominent encore le secteur, se pose donc le problème du financement pour mener cette nouvelle révolution technologique.
A cela, il faut ajouter un problème tout aussi important qui concerne la fracture numérique. L’agriculture se pratique en zone rurale et il s’agit encore malheureusement des régions les plus délaissées par les opérateurs, en ce qui concerne l’accès à internet. Le taux de pénétration de l’internet mobile s’élève ainsi à 28% en Afrique subsaharienne, selon les chiffres de 2020 de l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA). Le coût de l’internet constitue aussi un obstacle, sans oublier la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée pour exploiter les données, ainsi que les besoins de formation des agriculteurs à l’utilisation de cette technologie. Il ne s’agit heureusement pas de difficultés insurmontables et une forte volonté politique peut permettre de démocratiser l’usage de l’Internet des Objets dans l’agriculture africaine.
Emiliano Tossou